QUILLS
Théâtre national de la Colline
15 rue Malte-Brun
75020 Paris
01 44 62 52 52
Jusqu’au 18 février 2018
Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
À l’heure où se trouve une nouvelle fois relancée la question de la place de la morale en littérature, voici une pièce qui vient à point nommé. Les écrits de Sade ne sont-ils que de l’innocente littérature, fût-elle pornographique, ou constituent-ils des incitations au vice, à la violence et au viol qui méritent d’être censurés ? Ce Quills y répond : à écouter les réactions du public au théâtre de la Colline, les excès du « divin » marquis semblent plus comiques que dangereux.
Le paradoxe veut que, dans la pièce de Doug Wright, Sade apparaisse plus comme la victime du sadisme des censeurs que comme son inspirateur coupable. Il est en effet montré dans sa nudité de pauvre vieil homme chauve et glabre, enfermé dans une cage comme un animal incompris, dans une vulnérabilité inquiétante et fragile à la fois. Certes avec ses fards mais entièrement nu, il n’en faut pas moins pour rendre égal l’affrontement entre le bienveillant mais gentillet abbé du Coulmier et l’obscène marquis à la verve prolifique et à l’imagination débridée, qui porte d’autant plus beau qu’il est interprété de manière flamboyante par Robert Lepage lui-même, dont la performance d’acteur est extraordinaire, conférant une grande puissance dramatique au personnage.
La mise en scène que ce québécois signe avec Jean-Pierre Cloutier, reste pourtant assez sage. Elle s’organise autour d’une série de miroirs et de transparences qui laissent libre cours à des jeux de voilement et de dévoilement des désirs des corps et des vérités des âmes, notamment dans une scène où le Christ est réveillé par une amante elle-même rappelée à la vie par la force du verbe sadien et sa langue serpentine.
Au-delà du stupre, c’est le langage qui est interrogé, ses effets sur sa conscience et sur celles des autres, des aliénés de Charenton comme de nous-mêmes. Jusqu’où doit-on aller pour empêcher le Sade de nuire (autrement dit : faire taire l’impérieuse pulsion sexuelle) ? Et lui, quels stratagèmes déploiera-t-il pour se répandre (et son irrépressible graphomanie pour s’exprimer, coûte que coûte) ? Et Sade de constater : « c’est toujours dans l’adversité que s’épanouit l’artiste ».
Frédéric Manzini
Quills
de Doug Wright
Traduction de Jean-Pierre Cloutier
Mise en scène : Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage assistés d’Adèle Saint-Amand
Lumières : Lucie Bazzo
Environnement sonore : Antoine Bédard
Costumes : Sébastien Dionne
Collaboration à la scénographie : Christian Fontaine
Accessoires : Sylvie Courbron
Perruques : Richard Hansen
Maquillages : Gabrielle Brulotte
Avec : Pierre‑Yves Cardinal, Érika Gagnon, Pierre‑Olivier Grondin, Pierre Lebeau, Robert Lepage, Mary‑Lee Picknell
Mis en ligne le 18 février 2018