PROTÉE |
Théâtre de la Tempête Désopilant. Et inattendu. Voilà les adjectifs qui viennent à l'esprit du spectateur de ce drame satirique en deux actes de Paul Claudel, mis en scène par Philippe Adrien et actuellement à l'affiche du Théâtre de la Tempête, Protée. En effet, pour tous ceux qui se font de Claudel l'idée d'un auteur sérieux et peut-être même rébarbatif, cette fable lyrique a de quoi surprendre ! S'inspirant de la mythologie grecque, le dramaturge revisite et détourne quelque peu le mythe, laissant libre cours à une fantaisie délirante et une imagination débordante. C'est en 1913, après avoir achevé sa traduction (Claudel avait en effet plusieurs cordes à son arc : diplomate, auteur, traducteur) de la trilogie d'Eschyle qu'il écrit Protée. « À la suite de l'Orestie, Eschyle avait placé un drame satyrique dont il ne nous reste que le titre : Protée. C'est en rêvant sur ces deux syllabes que je me trouve avoir composé la pièce suivante », écrit-il. L'histoire se passe sur l'île de Naxos, sur laquelle règne Protée, divinité marine, gardien des troupeaux de phoques du dieu Poséidon, son père, et qui vit entouré de la nymphe Brindosier et de son troupeau de satyres, ses captifs. Brindosier n'a qu'une idée en tête, trouver à tout prix un moyen de s'échapper. L'occasion se présente lorsque Ménélas, faisant route vers Sparte après dix ans de guerre contre Troie pour reprendre Hélène son épouse, enlevée par le troyen Pâris, s'échoue sur cette île perdue. La nymphe futée imagine un astucieux stratagème destiné à berner à la fois Protée, Ménélas et Hélène, pour arriver à ses fins. C'est cocasse, loufoque, et tout le monde s'amuse, à commencer par les spectateurs, si l'on en croit les rires et les éloges entendus à l'issue du spectacle, mais également, sans doute, les acteurs, tous excellents, de Pierre-Alain Chapuis (en alternance avec Jean-Jacques Moreau), en vieillard de la mer débonnaire, à Matthieu Marie, qui campe un Ménélas benêt et dépassé par les événements, en passant par Marie Micla, qui impose sa présence dans un rôle quasi muet et, surtout, Éléonore Joncquez, la pétillante Brindosier dont la verve et le jeu drôlatique ne peuvent qu'emporter l'adhésion. En poussant plus loin on peut imaginer que le metteur en scène, Philippe Adrien, directeur du Théâtre de la Tempête, s'est également bien amusé. Sa mise en scène mêle marionnettes et effets spéciaux, pour le plus grand plaisir du spectateur. Mentionnons l'utilisation de la vidéo, une pratique qui se développe de plus en plus, traduisant une adaptation des artistes aux évolutions de la société. Lorsqu'elle sert, comme ici, le décor auquel elle s'intègre, cette pratique apporte un plus indéniable. Ainsi, un orage soudain ou une tempête en mer sont suggérés avec bonheur grâce à la projection d'images animées et sonores sur un grand écran occupant le fond du plateau. Ces effets visuels tendent à « rapprocher l'esthétique du théâtre de celle du cinéma » et, de fait, c'est un clin d'œil évident au cinéma que Philippe Adrien fait dans cette pièce. Par exemple, dans le début de l'acte I, les personnages se meuvent avec une lenteur délibérée puis le mouvement se précipite, comme un film qu'on ferait défiler au ralenti puis en accéléré. Notons également que lorsque Brindosier évoque les différentes métamorphoses que les pouvoirs magiques de Protée lui permettent d'opérer, le lion qui est projeté sur l'écran est celui, rugissant, de la Metro Goldwyn Mayer. Le metteur en scène lui-même mentionne, dans sa note d'intention, cette référence au cinéma. Il note ainsi : « Le texte, contemporain des « folies » de Méliès, suppose quelques expansions en images dont on aurait tort de se priver, les moyens d'aujourd'hui se prêtant à revisiter les petits miracles du cinéma des origines. » Paul Claudel s'est certainement bien amusé lui aussi en rédigeant cette pièce. Qualifier Naxos « d'île flottante » pour signaler que Protée peut la déplacer où bon lui semble le laisserait fortement supposer. Cette pièce dans laquelle il mêle des réminiscences du drame passionnel qu'il avait vécu avec Rosalie Vetch – n'est-il pas un peu le Ménélas qui s'était vu ravir son épouse ? – lui aurait-elle servi d'exutoire, de défouloir même ? Quelques années après Partage de Midi, aurait-il choisi le ton de la farce pour guérir ses blessures ? Cette pièce éminemment drôle n'a pourtant pas, au début, escompté le succès qu'elle mérite, plusieurs projets de représentations professionnels n'ayant pas abouti. Ce n'est qu'en 1955 qu'elle est montée pour la première fois sans que son auteur ait pu assister à la première représentation, étant décédé deux jours avant. Pour Philippe Adrien, d'ailleurs, la mettre en scène n'était pas une évidence. Ne confie-t-il pas : « Chaque fois que je tâchais d'en aborder le texte, [...] la pièce me tombait des mains. » ? Bien heureusement, à la suite de la réunion d'une « distribution adéquate » et d'une lecture à haute voix, il découvre que « ce Protée est une pure merveille d'humour et d'audace. » Pour notre plus grand bonheur.
Élishéva Zonabend
Protée de Paul Claudel Mise en scène Philippe Adrien Avec : Décor et accessoires Eléna Ant
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