PROJET LUCIOLE
Théâtre Montfort Petite salle « La cabane »
106 rue Brancion
75015 PARIS
01 56 08 33 88
Jusqu'au 15 février 2014
Du mardi au samedi à 19h30
Le titre, « Projet Luciole », a de quoi intriguer. Le sous-titre, « Théâtre philosophique », aurait de quoi faire peur. Il est vrai que cette audacieuse et inventive pièce est différente de ce qui se joue d'habitude sur scène. Deux comédiens disent, ou plutôt interprètent, un certain nombre de textes qui ne relèvent d'ailleurs pas tant de la philosophie à proprement parler que de ce qu'à la suite de Razmig Keucheyan, Nicolas Truong appelle les pensées critiques, autrement dit de ce courant de pensée qui, de Theodor Adorno à Clément Rosset, de Jean Baudrillard à Jaime Semprun en passant par Jean-François Lyotard et beaucoup d'autres, s'efforce de tenir un discours cohérent sur l'état du monde, s'interroge sur la possibilité de faire de la philosophie aujourd'hui et, accessoirement, en appelle au réveil des consciences pour entamer une lutte sociale et politique. La pensée et la culture ont-elles encore un sens quand la modernité semble avoir tout dévasté ? Est-ce Pasolini ou Georges Didi-Huberman qui a raison ?
La deuxième partie du spectacle est plus ludique puisqu'il s'agit, pour les comédiens qui défient chacun son tour l'autre, de donner corps aux concepts a priori abstraits sur lesquels ces pensées contemporaines reposent. Pour réussir ce tour de force, il fallait tout le talent de Judith Henry (qui a gardé l'air mutin qui l'avait rendue inoubliable dans le film de Christian Vincent, La Discrète) et de Nicolas Bouchaud, dont la complicité est évidente. La mise en scène y contribue également, en ayant recours à de jolis effets de phosphorescence et en ne ménageant ni le spectateur ni les livres, qui pleuvent comme des bombes sur le plateau ou servent de mobilier comme de vulgaires accessoires. Ceux qui s'attendaient à une lecture de type universitaire en seront donc pour leurs frais. Mais la violence théâtrale n'empêche pas des moments de tendresse notamment quand, avec la musique d'Ennio Morricone ou de Johnny Cash, les deux comédiens tentent de se rapprocher et de s'étreindre. Même si la barbarie est là, rien n'est donc perdu.
Ainsi les lucioles sont-elles le nom de l'espoir dont leurs lueurs sont porteuses, même au plus noir de la nuit – en l'occurrence à l'aveuglante clarté et à la surexposition de notre indigente société du spectacle. Quitte à assumer le paradoxe que ce soit précisément un spectacle qui nous le donne à voir, donc à penser.
Frédéric Manzini
Projet Luciole
De Nicolas Truong
Mise en scène : Nicolas Truong
Interprétation et collaboration artistique : Nicolas Bouchaud, Judith Henry
Lumières : Philippe Berthomé
Scénographie : Elise Capdenat et Pia de Compiègne