Manufacture des Abbesses
7 rue Véron
75018 Paris
01 42 33 42 03 

Jusqu’au 23 novembre
Jeudi, vendredi et samedi à 19h.

 

 DR

Article de Ivanne Galant :

 

Quand un ami nous contrarie, faut-il se taire ou le lui dire ?

Un poète qui n’écrit pas et un homme visiblement comblé tant professionnellement que personnellement se retrouvent pour discuter d’un malaise dans leur relation. L’un veut savoir ce qu’il se passe, l’autre ne veut pas le dire mais finira par céder. Le petit rien qu’il évoque, un petit silence condescendant, va alors faire grand bruit, faisant de la scène un ring où les protagonistes ont même besoin d’arbitres. Les voisins viennent ainsi aider à déterminer si oui ou non, il est opportun de mettre un point final à cette amitié.

Pour prendre cette décision, les deux hommes revivent des scènes faites de choses non dites ou mal dites, de petites inflexions ou d’accentuations malheureuses qui ont blessé ou agacé. Ce qui est anodin pour l’un est lourd de signification pour l’autre, et vice versa. Et il suffit que l’un se lance sur ce terrain pour que l’autre trouve lui aussi des reproches à faire.

Ce texte de Nathalie Sarraute pensé à l’origine pour la radio est interprété avec brio par les deux comédiens, Gabriel Le Doze et Bernard Bollet, dont le jeu confirme l’importance de la voix et de ses intonations que l’auteure souhaitait mettre en évidence. Si le premier paraît au début plus posé et raisonnable que le second dans sa façon d’appréhender le conflit, les rapports s’inversent et tout devient plus flou, ce qui nous fait expérimenter en tant que spectateur des émotions changeantes, de l’amusement à l’embarras.

D’un petit silence, on arrive à une réflexion plus ample qui porte sur les sentiments convoqués par l’amitié, notamment la jalousie, grâce à des personnages finalement peu caractérisés qui donnent ainsi une portée générale au texte.

Cette pièce s’inscrit dans le cadre d’un cycle Nathalie Sarraute organisé à la Manufacture des Abbesses.

Informations disponibles ici 

 

Article de Gérard Noël :

 

On sait que Nathalie Sarraute, non contente d'appartenir à la vague du "nouveau roman" a écrit des pièces. Celle-ci, peut-être la plus emblématique, est reprise à la Manufacture des Abbesses, dans un cycle "Nathalie Sarraute".

Son texte fort, interroge une fois encore le langage et ses pièges. La mise en scène est classique mais efficace : deux comédiens s'affrontent dans un décor nu, juste occupé par une chaise, un tapis d'exercice et une minuscule haltère rouge.

La situation de départ : deux vieux amis,  le premier homme et le deuxième homme, puisqu'ils n'ont ni nom ni prénom. De même, leurs occupations restent vagues, l'essentiel n'est pas là. Une brouille est survenue entre eux. Pas une brouille, en fait, plutôt un éloignement que H1 voudrait bien voir éclaircir. Pressé de questions, H2 finit par avouer qu'il lui reproche le ton qu'il a employé un jour (suite à une promotion annoncée) pour dire : « C'est bien ... ça ! » en traînant sur le "ien" et en laisssant un blanc entre bien et ça.  Il y voit une stigmatisation, une remise en question de ses choix ou de son mode de vie.

Il y aura l'irruption d'un "jury relationnel", en fait deux voisins, qui passent bien sûr à côté de l'enjeu. Et la conversation se poursuit : un double plaidoyer, en fait, chacun dépendant son point de vue. Le débat déborde : à présent on parle de conceptions du bonheur... un peu dans la logique de la phrase de Jules Renard : « Il ne suffit pas d'être heureux, il faut encore que les autres ne le soient pas. »

Près de la fenêtre, un commentaire rêveur de H2 : « La vie est là. » semble relancer l'affrontement. On brandit Verlaine, on s'invective. Et ces deux hommes de se guetter, s'analyser, s'autoanalyser avec férocité... et souvent humour.

Cette petite pépite est bien servie par les comédiens : Gabriel Le Doze, costume cravate, bien campé sur ses certitudes et Bernard Bollet, fragile et un brin tourmenté, collent à leurs rôles. La mise en scène, on l'a dit, est nette et sert bien l'ensemble.

Qu'on connaisse ou non Nathalie Sarraute, nous recommandons ce "Pour un oui, pour un non".

 

Pour un oui ou pour un non

Texte de Nathalie Sarraute
Metteur en scène Tristan Le Doze 

Avec Bernard Bollet, Gabriel Le Doze, Anne Plumet, Remy Jouvain