PLATONOV MAIS... |
Théâtre de l'aquarium
C'est un spectacle superbe et étonnant que nous donne à voir « Le théâtre à cru ». Nul mieux que cette compagnie elle-même pourrait définir ses objectifs : « De façon très concise, nous pouvons résumer notre aventure par une recherche artistique autour d'un théâtre dont le texte ne serait plus l'élément fondateur, mais où l'usage de disciplines mixtes implique de nouvelles procédures. Nous tentons de concevoir et de tisser de nouvelles relations entre le jeu de l'acteur, le son, l'image, le corps, l'espace, le temps et le texte. » Platonov mais… en est la parfaite illustration. Cette pièce de Tchékov qu'il a écrite à vingt ans, est une œuvre fleuve difficilement jouable puisque la version originale dure 6 heures. Foisonnante avec 18 personnages, elle nous montre un univers cruel et insolite et livre une critique sans concession de la société russe à cette époque, thèmes qu'on retrouvera dans La Cerisaie, Oncle Vania et La Mouette. Lors d'une soirée entre amis, explications, adultères, trahisons, alcool s'uniront pour que la fête tourne au drame. Centrée autour du personnage de Platonov, jeune aristocrate ruiné devenu instituteur par dépit, l'intrigue se noue entre les personnages avec en fond la description amère d'une certaine lassitude de vivre. Alexis Armengol s'appuie sur la traduction de Françoise Morvan et André Markowitcz. Sept personnages ont été retenus, les plus jeunes. La distribution est excellente. Alexandre Le Nours notamment campe un Platonov, séducteur et séduisant, à la fois odieux et vulnérable, provocant et fragile. Son personnage rappelle inévitablement Dom Juan, « l'extraordinaire méchant homme » répondant au « grand seigneur méchant homme » de Sganarelle.
Tous incarnent leurs personnages à la perfection avec une mention particulière à Camille Trophème qui incarne une Sacha, épouse de Platonov, incroyablement émouvante, totalement instrumentalisée par son mari qui l'infantilise « Je l'avais complétement oubliée, celle- là… Je la couche et j'arrive » dit-il à un moment. Mais elle n'est pas que comédienne, et, musicienne et chanteuse accomplie, elle donne non seulement au personnage mais aussi au spectacle dans son ensemble, accompagnée par Christophe Rodomisto à la guitare électrique, une dimension supplémentaire par ses chants qui vont nous cueillir au plus profond de l'émotion. Car l'idée de génie est d'avoir introduit des parties musicales qui soulignent les sentiments en les exacerbant à la manière des fados. Avec une utilisation intelligente de l'espace, le décor inventif, tour à tour montre ou laisse deviner les différents lieux où se situe l'action, avec des murs suggérés par un alignement de poteaux qui donnent à voir ce qui se passe derrière. Il offre un cadre parfait à la mise en scène pointue, inattendue, d'une incroyable diversité qui met en évidence les interrogations et les dualités des personnages avec des scènes tour à tour jouées, narrées, chantées. C'est d'une beauté et d'une intensité absolues, du grand et magnifique théâtre, de la belle ouvrage comme on dit.
Nicole Bourbon Platonov mais... D'après Platonov de Tchekhov Avec : Théâtre à cru - 12 bis rue Lobin - 37000 Tours – Tél & fax : 02 47 44 02 45 > theatre-a-cru@wanadoo.fr
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