PAR LES VILLAGES

Théâtre national de la Colline
Grand théâtre
15, rue Malte-Brun
75020 Paris
01 44 62 52 52

Jusqu’au 30 novembre 2013
Du mardi au samedi à 19h30 et le dimanche à 15h30

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Mis en ligne le 7 novembre 2013

Par les villages

C’est d’abord un texte exceptionnel. Une écriture époustouflante, ambitieuse, à la fois classique et contemporaine, traversée de fulgurances, sans aucune concession ni facilité, d’une ampleur qui va jusqu’à l’immense, pleine de métaphores et de prophéties grâce à une langue lyrique poétique qui rappelle parfois celle de Claudel, mais dont il ne faut pas taire l’étrangeté, la densité éprouvante, l’âpreté aussi, qui pourraient rebuter ou paraître ampoulées. Le pari était donc risqué de faire entendre une telle parole, mais il est magnifique.

L’histoire est celle de Gregor qui, héritant de la demeure familiale, retourne dans son village natal pour régler ses affaires. Lui, l’aîné dominateur et offensant, l’écrivain, l’intellectuel qui a fait le choix de quitter sa famille pour partir à la ville, y retrouve après des années d’éloignement son frère Hans, ouvrier du bâtiment et sa sœur Sophie, vendeuse dans un magasin, qui sont toujours restés dans la vallée : ce sont deux mondes que l’on voit s’affronter sur scène. Une réelle culpabilité mêlée d’un certain mépris pour la vie insignifiante des gens du village se heurte de front à l’animosité de ceux qui ont su trouver leur propre fierté en dehors du regard humiliant que leur frère a trop longtemps porté sur eux. Ainsi Hans, qui se définit lui-même comme un « grouillot », dénonce le confort aveugle et sourd, stupide enfin, de la vie bourgeoise, et peut déclarer : « seuls nous, les blessés, entendons la beauté », comme pour mieux souligner que l’enjeu est esthétique et métaphysique bien plus que social ou politique.

C’est ce personnage que joue Stanislas Nordey, qui signe par ailleurs la mise en scène : habité par le texte, son attitude de colère crispée fait un frappant contraste avec la clarté implacable de sa diction. Au contraire, Laurent Sauvage, habillé dans un gris élégant, prête toute sa désinvolture un peu affectée au personnage de Gregor, le regard bas mais qui ne s’avoue pas vaincu devant les reproches qui lui sont lancés en pleine figure. Moins révoltée mais tout aussi touchante, Emmanuelle Béart incarne une Sophie au bord des larmes, forte et fragile à la fois, profondément blessée dans l’affection fraternelle et amoureuse qu’elle éprouvait autrefois pour son frère mais qui n’est plus.

Autour de ce trio, tous les autres personnages ont également leur importance. Chacun a droit à sa tirade qui lui permet de dire, qui la perte de la nature sauvage, qui la dureté de la vie de chantier, qui la détresse de la condition humaine, qui la nécessité de la transmission, qui la beauté des choses simples. Le monologue final a une intensité dramatique encore supérieure : en appelant à une réconciliation qui semblait impossible après plus de trois heures de tensions, il livre une véritable déclaration d’amour à l’art et à sa capacité rédemptrice, s’achevant sur ces paroles :
« Laissez s'épanouir les couleurs. Suivez ce poème dramatique. Allez éternellement à la rencontre. Passez par les villages. »

La distribution est remarquable, homogène et soudée. Avec l’espace scénique qui s’ouvre et se referme, avec les couleurs qui passent du bleu métallique des baraques de chantier à la lumière blafarde comme la mort, avec le peu de mouvements qui anime les personnages, avec la musique d’Olivier Mellano qu’il joue lui-même en live, tout contribue à créer une ambiance magistrale, tantôt magique tantôt glaçante, mais toujours juste. Un très bel écrin à la hauteur d’une très grande pièce.

Frédéric Manzini

Par les villages

Par les villages

De Peter Handke
Traduction de l’allemand Georges-Arthur Goldschmidt
Mise en scène Stanislas Nordey
Musique Olivier Mellano

Avec Emmanuelle Béart (Sophie), Claire ingrid Cottanceau (Nova), Raoul Fernandez (Albin), Moanda Daddy Kamono (Ignaz), Annie Mercier (l’Intendante), Stanislas Nordey 5hans), Véronique Nordey (la vieille femme), Laurent Sauvage (Gregor), Richard Sammut (Anton) et en alternance Zaccharie Dor, Cosmo Giros (L’Enfant).