ORCHIDÉES

Théâtre du Rond Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Tél : 01 44 95 98 09

Jusqu'au 16 février
Du mardi au samedi à 21h00
Dimanche 15h00

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Mis en ligne le 1er février 2014

Orchidées

 

Vraiment, ce spectacle n'a pas de tenue ! Fait de bric et de broc, sans construction, sans politesse, sans aucun respect pour les conventions, les textes, les performances théâtrales. Pas de montée émotionnel, pas de descente, pas de pic dramatique, pas de conflit ni de résolution, même pas de situation claire. Un plateau d'une immense vacuité dominé par un écran panoramique qui crache un mélange d'images d'actualité, de captations ethnographiques et médicales, de reportages bucoliques ou naturalistes, ou de films intimes, tout, presque n'importe quoi. Et là-dessus des comédiens qui arrivent sans rôle, qui ne jouent pas, qui singent en play-back un opéra de Puccini et des scènes de cinéma. Ils n'ont parfois même pas de costumes. Je veux dire, aucun costume. Rien que leurs corps. Si si.

Rien, vraiment rien de l'apparat qui transporte d'ordinaire l'imaginaire du spectateur : les beaux décors, les beaux costumes, les belles scènes rondement investies.

On est devant un collage disparate fait de souvenirs d'enfances, de nostalgiques élans révolutionnaires et d'extraits de grands auteurs de théâtre : Shakespeare, Tchekhov, Büchner… et Marat.

Et puis du fond de la salle, Pippo Delbono raconte.

Il a dans sa voix le charme de l'italien, l'emphase et l'art. Le grain rude et chantant à la fois.

Il raconte sa mère et la perte de sa mère.

De temps en temps il descend les gradins, monte sur le plateau et se mêle aux comédiens de sa compagnie : ils sont une sorte de Barnum miraculeux, des saltimbanques sans accessoires, un monde aussi disparate qu'intrigant, plus étranges et plus vrai qu'un panel d'humains. Ils sont de ce théâtre qui brille parce qu'il est le refuge de qui n'est pas tout à fait dans la norme, de ce théâtre qui est encore capable de regarder nos sociétés avec lucidité car ses enfants se tiennent résolument en marge : ils ont le don de voir ce qui nous aveugle.

Et Pippo Delbono retourne à son micro. Il raconte sa colère, la nostalgie insatiable de sa colère et ce manque effroyable que creuse la révolte qui ne peut s'exprimer.

Révolte contre la mort, l'intolérance, le temps qui passe, la nostalgie même. Révolte contre un monde triste soumis sans rêve. Un monde repus et craintif. Un monde corrompu et intolérant. Un monde de silence et de front baissés.

Il raconte le théâtre qu'il aime, qui empoigne la vie à la gorge pour la faire danser.

Quelque chose de vrai, au moins une quête de vérité émane de ce tâtonnement vers un théâtre rendu à nu, un théâtre qui interroge le monde droit dans les yeux.

C'est un journal intime. Un demi-siècle jeté en vrac sur un plateau nu. Temps suspendu.

Et puis il se tait, aphasique face au présent, au futur. Autant le flot des souvenirs doux, amers ou furieux se déverse à longs jets généreux, autant le regard sur le présent et l'avenir est comme arrêté par la crainte. Comme un cri retenu, un questionnement plein d'effroi, un œil écarquillé.

Bruno Fougniès

 

Orchidées

Un spectacle de Pippo Delbono
Images Pippo Delbono
Musiques Enzo Avitabile
Lumières Robert John Resteghini
Traduction Danièle Jeammet, Christian Leblanc
Costumes Elena Giampaoli

Avec
Dolly Albertin, Gianluca Ballarè, Bobò, Margherita Clemente, Pippo Delbono, Ilaria Distante, Simone Goggiano, Mario Intruglio, Nelson Lariccia, Gianni Parenti, Pepe Robledo, Grazia Spinella