ON A FAIT TOUT CE QU'ON A PU MAIS TOUT S'EST PASSÉ COMME D'HABITUDE |
Théâtre 13 (Seine) Raymond Queneau, travaillant sur un sujet, s'avisa que celui-ci allait finalement rester dans ses tiroirs. Il eut l'idée d'en faire un roman : Les enfants du limon. C'est un peu à la même démarche que nous convie Philippe Fenwick. Il conçut un projet fou de tournée théâtrale entre Brest et Vladivostok. Dire les complications auxquelles il dut faire face, les démarches entreprises, les promesses faites et non tenues, le découragement succédant aux moments d'exaltation (et réciproquement) dire tout cela serait impossible. Pas pour Fenwick qui en fait aujourd'hui un spectacle : spectacle un peu mégalo, certes, puisque c'est l'auteur-metteur en scène qui occupe principalement la scène. On le voit, on le suit, il parle, joue, digresse, chante, s'expose. Notons qu'il est plus conteur qu'acteur, ce qui est parfois dommage. De même, des ruptures de rythme auraient été les bienvenues. Il a tout de même, sur scène, la complicité d'un comparse prénommé Fred et d'une fildefériste également dresseuse de cochon, ce qui nous vaut une séquence savoureuse avec l'animal. Bien sûr, Philippe Fenwick est malin. Il avance masqué. Malgré la haute teneur autobiographique de la chose, il la déguise. D'abord, il la situe en Dramatie, petit pays situé entre la Belgique et la France et dont la capitale est Liberta. Il évoque ses problèmes avec la Drax (sans doute la DRAC dans la réalité) ou songe même, un moment, à jouer au 106 (on croit y reconnaître le 104, nouveau lieu théâtral situé dans le XIXème) Ces allusions passent peut-être un peu au-dessus de la tête du profane, mais peu importe. Fenwick y croit : comme il a joué sa vie dans toutes ces longues démarches, allant jusqu'à y compromettre sa vie conjugale et sa santé mentale, ici il paie cash. Sans faire semblant ou presque. L'intérêt majeur du spectacle vient peut-être de là, cette mince séparation entre fiction et réalité. Tout est vrai et pas tout à fait en même temps. Le bureau A, ce bureau kafkaïen où des malheureux s'obstinent (quitte à en devenir fous) à présenter des dossiers afin d'obtenir une subvention est sans doute une quintessence de bureaux. Ils sont plusieurs. Mais les synthétiser en un seul est plus fort. De même, quand le portier, M. Zloty (nom de l'ancienne monnaie polonaise) clame que ce bureau n'a jamais existé, on atteint des sommets : sommets d'absurdité du fonctionnement administratif, dérision absolue de la vie d'artiste qui épuise sa santé et son temps (dans la réalité, 1300 jours, soit 3 ans) à courir après aides, concours, soutiens quitte à voir tout s'écrouler au dernier moment. Qu'on se rassure, Fenwick a quand même fait sa tournée vers l'Est avec « Atavisme », le spectacle qu'il a écrit et mis en scène. Quand il passe le relais à Fred pour un slam endiablé, parodiant Léo Ferré pour poser la question : « Est-ce ainsi que les artistes vivent ? » on respire pour lui. La musique et les lumières, déjà bien présentes tout au long du spectacle, se déchaînent. Et c'est la fin du spectacle, un spectacle qu'on devine cathartique. Un spectacle foutraque, agité, fait de bric et de broc parfois, mais prenant.
Gérard Noël
On a fait tout ce qu'on a pu mais tout s'est passé comme d'habitude Épopée scénique de et par Philippe Fenwick. Avec Philippe Fenwick, Sarah Schwartz et le musicien Zed (avec aussi des artistes invités, cirque ou music-hall) Scénographie et lumières : Michel Carmona.
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