OCCIDENT
Maison des Métallos
94 rue Jean-Pierre Timbaud
75011 Paris
Tél : 01 48 05 88 27
Jusqu’au 14 juin et à la Ferme du Buisson le 28 novembre 2015
Crédit photo © Geoffroy Demarquet
Une femme, un homme, un couple. C’est le soir, tard, l’homme rentre, ivre. La femme attend, tête posée sur la table en formica. Un lecteur de cd posé près d’elle diffuse « Et si tu n’existais pas » de Joe Dassin. C’est de part et d’autre de cette table que va se dérouler le combat entre cette femme et cet homme, un combat de mots, un combat de dérive, un combat qui est comme la colonne vertébrale d’une vie commune en déchirures.
Les soirs vont se succéder comme des rounds, toujours similaires, jamais identiques. Une progression dramatique qui raconte la déliquescence de ces deux existences à mi-chemin de l’explosion.
Mais il ne s’agit pas uniquement d’une quelconque reproduction de la vie d’une couple ordinaire en train de se détruire. Le propos de Rémi de Vos explore le bastion branlant du monde occidental, son essoufflement, son autodestruction en marche. Sous de fausses allures populaires, presque caricaturées (augmentées par l’état d’ébriété avancée dans lequel ils baignent), ce n’est pourtant pas un couple banal ni anodin : elle et lui sont écrivains. Lui surtout. Et lui surtout n’a plus rien à écrire et plus rien à vivre. Plus de rêves.
C’est ainsi que l’on reçoit ce couple – symbole de la création mais sans enfants et sans illusions – qui semble se délecter à se déchirer chaque soir de plus en plus profondément. Elle et lui se provoquent sans aucun tabou, comme pour encore toujours atteindre l’autre, le bouleverser, le toucher quitte à le rendre fou de rage et aveuglé par la violence. Et obtenir une réaction, une existence. Des provocations qui, on le sent, ont remplacé depuis longtemps les mots d’amours et les fééries. Quand le désir fait place à l’insupportable manque.
Rémi de Voss s’est fait une habitude d’utiliser le couple comme microcosme pour analyser la société contemporaine. Dans cette pièce, il écorche violemment la vision idyllique de l’Occident, si cette vision existe encore. Voici un tableau sans concession d’une civilisation stérile, une civilisation dans une telle quête d’idéal qu’elle est prête à adopter le premier mot d’ordre venu du moment qu’il apporte l’ivresse du pouvoir. Un nid douillet pour toutes les thèses fascistes.
La disposition scénique de cette mise en scène partagée entre les deux interprètes, place les spectateurs à portée de bras des personnages. Une disposition bi-frontale qui nous invite dans la cuisine de ce couple comme les spectateurs d’un musée vivant.
Carole Thibaut et Jacques Descorde (tous deux acteurs, auteurs et metteurs en scène chacun pour leurs propres compagnies) créent ici deux personnages d’une violente réalité, sans jamais tomber dans rien de pathétique ni de jamais vulgaire. Tous deux, tendus, jouisseurs, provocateurs, donnent autant le sentiment de monstruosité que de fragilité. Une énergie commune les anime et l’on sent une réelle joute entre ces deux très bons interprètes. Ainsi qu’un réel plaisir à se défier.
D’autant que malgré la noirceur volontairement affiché du texte, un véritable esprit corrosif balise tout le spectacle d’un humour salutaire.
Et ce sont sur quelques notes de « L’été indien » du même Joe Dassin que se termine cette lutte d’amour, de haine et d’impuissance mêlées.
Bruno Fougniès
Occident
de Rémi De Vos (éditions Actes Sud-Papiers)
mise en scène et interprétation Carole Thibaut, Jacques Descorde
création technique Mariam Rency
Avec Carole Thibaut et Jacques Descorde
Mis en ligne le 16 juin 2015