OBLOMOV |
Comédie Française
Volodia Serre nous livre un portrait tendre et ironique de Oblomov, ce propriétaire terrien enclin à la paresse, méconnu en France mais célèbre en Russie où est couramment utilisée l'expression Oblomovisme. Plus qu'une satire de la société russe du XIXème siècle fustigeant l'oisiveté des « barin » – rappelons que le roman a été publié en 1859 soit deux ans avant la fin du servage – le spectacle s'attache à cerner au plus près le personnage d'Oblomov que Guillaume Gallienne interprète avec une empathie évidente, jouant subtilement le côté enfantin, intensément humain, infiniment attachant, de cet homme en proie à une profonde inaptitude à la vie que même l'amour ne parviendra pas à sauver et qui finira dans un mariage médiocre avec Agafia l'épouse-mère réconfortante et valorisante. Coléreux – belle scène où il s'emporte contre son serviteur Zakhar qui a osé le comparer « aux autres », parfois odieux – tyrannique envers son valet, il se sent inférieur devant son ami Stolz qu'il voit comme un guide « Donne-moi la force qui me manque et je marcherai derrière toi » lui dit-il – il est tout en contrastes, il nous amuse, soulève les rires puis nous bouleverse. En un mot il est prodigieux. Marie-Sophie Ferdane est une Olga frémissante et émouvante, Yves Gasc un savoureux Zakhar à la fois bougon et soumis à son maître, Sébastien Pouderoux un Andreï, vif et fort qui souligne bien le contraste avec Oblomov, Céline Samie et Nicolas Lormeau dans des rôles plus secondaires parviennent à leur donner de la consistance. Outre l'interprétation, tout est extrêmement travaillé dans cette adaptation, donnant vie avec magnificence et infiniment de poésie aux moindres détails : une utilisation intelligente de la vidéo (Thomas Rathier ) pour les songes que fait Oblomov, revoyant le domaine de son enfance, ce paradis perdu ; une scénographie inspirée – la chambre paraît s'agrandir à l'arrivée d'Olga tandis que l'appartement d'Agafia semble minuscule, au gré des scènes le plafond s'envole, les murs deviennent transparents, magnifiques séquences dans le parc symbolisé par un arbre debout au creux duquel on peut se lover, réplique verticale du divan, et une branche cassée sur laquelle les comédiens vont avancer comme des funambules –. Hanna Sjödin accomplit un superbe travail sur les costumes avec en point culminant la robe de chambre aux amples plis douillets, élément primordial et très symbolique de l'histoire, qu'Oblomov ne rejette que pendant sa relation avec Olga et que d'ailleurs cette dernière voit comme sa rivale. Frédéric Minière joue d'une bande son en accord (invocation mystique à la lune) avec le célèbre et émouvant aria Casta Diva de Norma composé par Bellini qui revient en leitmotiv. Oblomov a accompli son destin : il avoue à son ami son mariage et lui confie son fils à qui il a donné son prénom, Andréï comme un symbole de la vie qu'il aurait pu avoir. J'aurais pour ma part terminé la pièce sur cette image-là, les deux scènes suivantes – même si elles sont fort belles – rallongeant (à mon goût) inutilement le spectacle. C'est la seule légère réserve que j'émettrais sur un spectacle par ailleurs tout à fait savoureux et passionnant. À ne pas manquer.
Nicole Bourbon
Oblomov D'après Ivan Gontcharov Avec : Vidéo : Thomas Rathier
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