NOCES DE SANG
Théâtre de l'Atalante
10 place Charles Dullin
75018 Paris
Tél : 01 46 06 11 90
Jusqu'au lundi 30 décembre 2013
Les lundis à 21h30, mercredis, jeudis et vendredis à 20h30,
les dimanches à 19h.
Le titre de cette magnifique pièce de Federico Garcia Lorca peut effaroucher mais il ne faut pas. Tout est vie dans cette pièce, explosion de vie, appétit, exultation, soif inextinguible, désir et passions dévorantes.
On est en Andalousie, dans les années 1930. Un village à la morale austère où les familles lient des alliances et des rancunes de générations en générations, pour un lopin de terre un peu plus riche que les autres, pour une bagarre qui s'est terminée dans le sang et crie vengeance. C'est l'esprit du sud dans ce qu'il a de plus impitoyable.
Un esprit à la fois cagot et grippe-sous. L'esprit paysan, propriétaire terrien âpre au gain, dur à l'effort et roué comme un marchand ambulant.
Ici, les mariages se discutent comme au marché à bestiaux. Ici les mariages ont deux buts : engendrer des bras qui laboureront les terres, engendrer des ventres qui porteront à leur tour leurs fruits, et surtout agrandir la fortune des familles. Car cette fortune est le pouvoir qu'elles auront sur le village, pour des siècles et des siècles.
C'est une machine impitoyable que cette vie réglée du matin au soir par les devoirs, les tâches, la terre, les coutumes, les renoncements. Car c'est une terre rude, aride, où rien ne pousse sans la sueur de l'homme. Une vie qui n'admet pas le moindre écart à la morale. Il faut avoir vécu sous ces climats et dans cet esprit d'économie pour comprendre la crainte que provoque toute futilité, tout ce qui n'est pas nécessaire à l'existence, tout écart de conduite.
C'est une vie de labeur comme la bible la promet à l'homme et à la femme quand ils quittent le paradis.
Le désir est ailleurs. Un ancien fiancé repoussé, pour lequel la future brûle encore. Lui-même marié par arrangement deux ans auparavant. Et vient le jour des noces, eux qui ne se sont pas vu depuis tout ce temps. Et la passion dévorante à laquelle ils ne peuvent résister ni lui, ni elle, malgré tout cette chape de plomb de morale qui les étrangle. Alors oui, s'aimer, ne serait-ce que le temps d'une fuite dans les bois, ne serait-ce que pour le temps de pouvoir se le dire, se libérer au moins de cela, de la parole!
William Mesguich nous donne une mise en scène très épurée mais aussi très intime de cette pièce, resserrée autour des personnages principaux. On est au cœur des affrontements et des perditions de chacun d'eux dans une proximité sensible et qui échappe au réalisme. Des apparitions soudaines tissent la trame de la tragédie : comme si un destin invincible dirigeait toutes ces vies. Les clefs de la tragédie antique scandent tout le spectacle. Et le cœur du spectateur se serre quand il entraperçoit la prédestination.
Tout y est. Des choix pertinents, personnels, des effets scénographiques de projections vidéo, de lumière, des envolées visuelles allégoriques, un magnifique travail d'interprétation des comédiens et comédiennes qui volent de rôles en rôles avec une vraie crédibilité (un bémol pour l'interprétation des personnages de la femme de Léonardo et de la fiancée, tenus par la même actrice : une similitude d'émotion qui tend à rendre les deux personnages semblables. Mais sans doute est-ce une volonté de mise en scène.)
Tout y est et pourtant le cri déchirant de la révolte contre les lois voulant diriger nos vies et nos désirs n'explosent pas à la hauteur de la révolte des personnages de Lorca.
Bruno Fougniès
Noces de sang
Texte de Federico Garcia Lorca, traduction & Adaptation Charlotte Escamez
Mise en scène William Mesguich, assistante à la mise en scène Charlotte Escamez
Avec
William Mesguich, Sterenn Guirriec, Zazie Delem, Anne Clélia Salomon et Philippe Maymat
Son : Franck Berthoux et Vincent Hulot,
Lumière Mathieu Courtaillier,
Scénographie et accessoires Anne Lezervant,
Maquillages Eva Bouillaut