© La Tempête

Comme dans l'apologue de l'animal-homme, qui marche à quatre pattes le matin, sur deux pattes l'après-midi et sur trois pattes le soir, le titre de la pièce renvoie à la naissance et à la vieillesse d'un personnage. Johannes  naît en 1900, dans une ferme où, entre souffrance et travaux des champs, il pousse ses premiers cris. 1980, sa femme est morte. Dans sa masure, le vieil homme entame une journée comme toutes les autres. Première idée, aller trouver son voisin Peter, pour pêcher à la ligne et accessoirement lui couper les cheveux.

Sur un fond de scène magnifique et dans un décor minutieusement recréé, nous assistons à la journée de Johannes. Aux mille et une petites actions qui en sont la trame. Des conversations s'engagent, on apprend des choses sur la pêche. Johannes croise d'autres personnages, notamment la jeune Anne Petersen avec qui il est sorti, jeune. Les dialogues évoquent le « en attendant Godot » de Beckett, le tout baignant dans une étrangeté un peu hypnotique. Il y a des moments touchants, et la chanson  « Souli lou la » que des voix fraîches entonnent dans l'air glacé. La progression, en creux, nous mène vers un final que nous ne dévoilerons pas mais que nous pouvions, raisonnablement supposer.

Jon Fosse, évoquant son écriture, parle d'une connaissance qui est de l'ordre de l'indicible. Il utilise également le terme de « voix sans parole ». Jacques Lassalle, le metteur en scène inspiré, sert on ne peut mieux ce projet. Le résultat est bluffant : il faut se laisser glisser dans ce texte, l'apprivoiser peu à peu pour en apprécier toute la magie : les comédiens sont tous excellents : de Jean-Claude Frissung à la bouleversante humanité à Rodolfo de Souza, étrange et farouche. Les comédiennes, certaines dans plusieurs rôles, sont au diapason.

Une pièce prenante, à voir.

Gérard Noël

© La Tempête

Matin et soir

De Jon Fosse.
Mise en scène : Jacques Lassalle.

Avec : Julien Bal, Cécile Bouillot, Grétel delattre, Rodolfo de Souza, Jean-Claude Frissung, Agnès Galan.