MARTYR
Théâtre De Belleville
94 Rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tél 01 48 06 72 34
Mardi 29 novembre à 21h15
dimanche 4 décembre à 14h30
lundi 5 et mardi 6 décembre à 21h15
Puis au Plateau 31, à Gentilly
Du 19 au 22 janvier 2017
jeudi à 14h30, vendredi à 14h30 et 18h00, samedi à 14h30, dimanche à 18h00
© Laurent Greslin / Claire Thévenin
Un dispositif et une construction dramatique des plus sobres pour un texte âpre, astringent même mais surtout un texte d’une actualité vive comme les arêtes saillantes d’un récif de corail affleurant la surface de l’eau, prêtes à déchirer les coques des navires.
Seul décor sur scène, une série de panneaux qui sont en réalité des tableaux noirs. Symboles de l’école. Les principales actions de la pièce se situent en effet dans un établissement scolaire, un collège ou un lycée.
L’histoire est construite de manière chronologique. Elle commence par une anecdote futile. Un élève, Benjamin, sèche les cours de piscine. Sa mère en est informée. Elle doit écrire un mot d’excuse. Il lui demande d’inscrire comme raison à son absence : motifs religieux.
De cette anecdote, tout le reste de l’histoire va s’engendrer. Benjamin a plongé sans que sa mère ni ses professeurs s’en aperçoive dans un fanatisme catholique fondamentaliste. Au fil des courtes scènes, le texte de Marius von Mayenburg (écrivain associé à Ostermeier et la Schaubühne) décline la rapide progression de ce fanatisme et les dommages qu’il déclenche autour de lui. Et c’est là la force de cette pièce tant elle essaie d’exprimer les raisons pour lesquelles le religieux parvient à planter ses griffes dans l’esprit de ceux qui se sentent exclus du monde en marche.
Le livre est au centre de tout. Il s’agit ici de la Bible. C’est elle qui donne des réponses pour les choix que la vie rencontre. Elle qui indique la route à suivre, les opinions à avoir, les actes à faire, un bréviaire pour toute l’existence en quelque sorte. Plus la peine de douter, d’hésiter, chaque événement à sa solution dans les pages imagées du texte. Et l’on comprend alors de quelle force il s’agit quand elle libère l’individu de son libre arbitre, de sa responsabilité, de son autodétermination et qu’en contrepartie, elle fait du croyant un élu, un préféré de Dieu, un fils prodigue plein de vertus, de qualités, de supériorité par rapport aux autres existences, ceux qui ne sont pas fils de Dieu, mais simple fils d’hommes. La tentation pour ceux que la vie réelle effraie est immense. Et l’on comprend que les adolescents soient les proies toutes désignées pour ces faiseurs de martyrs que sont les prosélytes.
Mais hormis cet éclairage lucide sur les motivations d’une plongée dans la foi, cette pièce développe également, dans sa fiction, une partie passionnante : comment l’adolescent Benjamin, fort de ces certitudes biberonnées aux pages du livre sacré, parvient à convaincre et influencer son entourage (dont le directeur de l’école) du bienfondé de sa morale étroite et coercitive. Les sirènes du moralisme sont envoûtantes pour les admirateurs de l’ordre.
Face à Benjamin, se dresse sa mère, mais surtout sa professeure de biologie. Celle-ci, battante guerrière de la lucidité et de la vérité scientifique, finira battue par le fanatisme misogyne, despotique et cagot de son élève.
Ici résonne une véritable mise en garde. Défendre de toutes nos forces les libertés fondamentales acquises qui peuvent être si facilement détruite par lâcheté morale : car disons-le, il est beaucoup simple et reposant d’interdire, de construire des murs, des grilles et des frontières que de vivre dans une société où chacun est libre d’agir selon ses choix. Ne pas penser, ne pas réfléchir, ne pas faire de choix… quel repos ! un excellent prélude à la mort.
La mise en scène de Gatienne Engelibert et le jeu des comédiennes et des comédiens œuvrent pour donner à la pièce l’impact juste et fort qu’elle mérite. Chacun est investi de son rôle, proche et réaliste dans une conception scénographique qui ne l’est pas. Sur la valse des tableaux noirs s’écrivent à la craie les différents chapitres de ce livre vivant qu’est la pièce. Un système qui permet également de garder vivace le rythme intense des courtes scènes. Il reste toutefois un côté un peu formel inhérent au projet même de l’écriture.
Bien sûr et immédiatement viennent à l’esprit ces images de jeunes occidentaux embrigadés dans l’intégrisme religieux musulman partant en Syrie pour devenir des héros. Il y bien ici un cri lancé contre les retours de l’intégrisme catholique dans nos sociétés occidentales, mais il y a aussi le désir de dévoiler les raisons qui poussent les jeunes occidentaux à devenir martyr pour l’EI.
Un spectacle nécessaire, instructif et clairvoyant qui annonce les dangers du naufrage politique.
Bruno Fougniès
Martyr
De Marius Von Mayenburg
Traduction de Laurent Muhleisen
Mise en scène Gatienne Engelibert
Assistée de François Accard
Scénographie Laurent Greslin
Création musicale David Chevallier
Création lumière Pierre Peyronnet
Avec :
Pierre Andrau, Nathalie Bitan, Tom Boyaval, Sylvie Cavé, François Delaive, René Hernandez, Louise Rebillaud, Rainer Sievert
Mis en ligne le 29 novembre 2016