MAD#47#
Confluences
190 Boulevard de Charonne
75020 Paris
Tél : 01 40 24 16 46
Jusqu’au 12 mars à 20h30
Puis à Gare au Théâtre / Vitry-sur-Seine du 6 au 10 juillet 2016 pour « Nous n’irons pas à Avignon »
Crédit photo Daniel Nowak et Mohamed Guellati
Sous ce titre très fourni en hashtag, se cache une histoire riche et à l’apparence simple comme une rencontre. Mais sous cette rencontre c’est un bras-de-fer mêlé de rancune, de sentiments de revanche, d’incompréhension et de séductions entre un homme et une femme. En effet, le 47 dans le titre correspond aux massacres perpétués par la France pour tenter d’endiguer les mouvements de libération de Madagascar en 1947.
Cela se passe longtemps après cette date, à Tananarivo, capitale de Madagascar. Lui, Balthazar, est natif de cette île immense, longue comme un monde. Elle, Ambre, débarque de France, une expat’ venue enseigner le français à des lycéens. Tous deux vont devoir cohabiter ensemble dans la villa louée pour la professeure et dont Balthazar est l’employé de maison.
C’est avec les mêmes degrés qu’une rencontre amoureuse que Jérôme Brie raconte cette lente et précautionneuse danse d’approche entre ces deux personnages. Mais ici, il ne s’agit pas simplement de désir (ou non), entre deux êtres forcés de cohabiter, mais il s’agit de faire peu à peu émerger tous les non-dits, les souvenirs volontairement effacés et l’histoire, souvent mise en oubli, des violences et des injustices causées par la colonisation. Cette histoire, les deux personnages la portent en eux, elle fait partie de la culture qui a façonné leurs identités, elle va ressurgir ici.
Une manière de projeter sur scène les préjugés et les comportements inconscients qui sont comme les fruits pourris du passé colonial français.
Jérôme Brie décline cette situation en profitant de tous les moments burlesques qu’elle peut provoquer. C’est ainsi que tout au long de ce texte le rire est disséminé, car il s’agit ici de partir des préjugés pour les faire vaciller, tomber et, sur la table rase, imaginer d’autres respects.
Ambre se présente dans une innocence toute fraîche, nimbée d’une sincérité professorale à toute épreuve. Elle apparaît comme le cliché d’une femme dévouée à l’enseignement, débarquant sous les climats équatoriaux, une ombrelle à la main pour protéger sa peau blanche des brûlures du soleil. À son arrivée, Balthazar se transforme vite en une sorte de majordome en livrée d’apparat, cliché lui aussi du factotum colonial, cliché de l’africain à qui la civilisation européenne a apporté la dignité toute religieuse de l’habit qui doit dissimuler le corps autant qu’il doit signifier la classe sociale de l’individu qui le porte.
Derrière ces déguisements, la femme et l’homme entament alors le dialogue qui les mènera bien loin des convenances. Car peu à peu, au fil de la nouvelle intimité qui s’installe dans cette villa, ces parures vont disparaître, ces postures de patronne et d’employé se fissurer et les deux héros de l’histoire s’avouer l’un à l’autre jusqu’à acquérir chacun une dignité d’expression égale et partagée.
Finalement, de ce corps à corps en abîme, les plaies de chacun d’eux seront ouvertes et lavées. La parole comme exutoire… et les massacres de répressions lors de la libération du pays seront enfin exposés, liant finalement de mille fils invisible Ambre et Balthazar à la même histoire.
La scénographie d’Émilie Jouve, simple, évocatrice et faite de matière sensuelle illustre parfaitement cette naissance. Elle tient principalement en un cercle de sable rouge. Autour, des accessoires sur un plateau nu, presque obscur. Ce cercle est la terre, il est l’île, il est la maison, il est aussi la poussière des ans qui a enseveli la mémoire comme dans une tombe… Toute la mise en scène de Mohamed Guellati joue avec ces significations auxquelles on peut rajouter celle d’un ring en terre, celle d’un lit, celle d’un esquif fragile au milieu des océans scintillants, sans attaches. Dans cet espace défini, la danse des deux protagonistes peut commencer.
Corinne Bastat dans le rôle d’Ambre, jouant au début le personnage engoncé dans ses manières, ses préjugés (qu’ils soient positifs ou négatifs), et sa crainte du vivant, se dévoile peu à peu, et donne à son personnage une humanité de plus en plus simple, libérée. Marcel Djondo dans le rôle de Balthazar joue, lui aussi, avec les préjugés, fait le bon petit Africain pour complaire à ce qu’on attend de lui, mais ce personnage donne au comédien l’éventail nécessaire pour montrer les multiples talents qu’il possède que ce soit dans le chant, la narration ou le jeu.
Le jeu physique et investi des deux interprètes raconte avec intensité ce combat contre l’autre et contre soi-même qui peut mener à briser le racisme et que vienne la guérison de ce mal.
Bruno Fougniès
Mad#47#
Texte de Jérôme BRIE,
Mise en scène Mohamed Guellati
Scénographie Emilie Jouve
Avec :
Corinne Bastat et Marcel Djondo
Mis en ligne le 7 avril 2016