L'argent roi. Tel est le démon qui ronge la conscience des personnages de cette pièce. Une jeunesse anglaise de la classe moyenne qui abandonne tout principe pour satisfaire aux exigences de notre modernité : confort, belles voitures, respects, plaisirs.

Ils ont moins de trente ans mais ils semblent déjà en fin de vie, acculés à toutes les extrémités par les dettes, boursouflés de remords, salis par l'existence, obligés de continuer sans savoir ni vers où ni pourquoi. Ils sont comme des insectes accrochés à une brindille sur une mer mazoutée.

Denis Kelly est un jeune auteur qui met en scène dans cette pièce, un peu dans la veine de Sarah Kane, les errements de cette jeunesse sans patrimoine ni passion qui se cogne aux murs et aux portes, lucide et désillusionnée, en quête d'une existence qu'elle veut sans vraiment la désirer. On les croirait tous amputés des rêves et des innocences. Blasés de tout mais avides d'en découdre avec le monde, et d'y faire leur place, ils boxent dans le vent.

Sept tableaux pour illustrer la violence et l'impuissance de cette middle class anglaise. On y suit sur un rythme presque cinématographique et dans une narration disloquée le portrait d'un mariage que les pressions financières poussent vers sa destruction brutale. Un couple que l'avidité va conduire à la mort pour l'une, à la pornographie pour l'autre.

Un maillon s'est brisé dans la chaîne culturelle qui relie le passé au présent. C'est une génération comme laissée à elle-même face à l'impitoyable dureté de l'économie, sans appui ni repère : ce n'est pas une force de travail ou des compétences particulières qui leur sont demandées en échange d'un bon salaire, mais eux-mêmes, corps et âmes, en entier, à vendre.

Et pourtant, ces personnages ne deviennent pas totalement inhumains, tant ils ont peur de leurs propres pensées, de leurs faiblesses.

Jennyfer Ferreira et ses comédiens s'emparent de ce texte cru et réaliste avec fougue dans une scénographie ingénieuse faite de panneaux de PVC translucide qui suggèrent les différents lieux de l'action. Des interventions musicales chantées interviennent un peu étrangement au fil du récit. Mais le mordant brut du texte de Denis Kelly est un peu édulcoré par une sorte de volonté d'alléger le propos, peut-être dans le but de le rendre plus digeste et moins désespéré. Peut-être pour attirer la sympathie sur ces personnages dont la seule valeur est d'être d'une banale cruauté ordinairement humaine.

Bruno Fougniès

 

Love and Money

Texte de Denis Kelly
Mise en scène Jennifer Maria, collaboration à la mise en scène Julien Lopato
Scénographie Andréa Baglione et Maxime Chudeau
Musique originale Andréa Baglione, Maxime Chudeau et Simon Jeannin

Avec :
Anastasia Canellias, Julie Clotilde, Élodie Galmiche, Alexis Gilot, Simon Jeannin, Julien Lopato, Jennifer Maria.