LES TROIS SŒURS |
La Comédie Française, Salle Richelieu
Les Trois Sœurs, ou le voyage sans cesse différé. Ou le bonheur sans cesse différé. Grâce à la reprise de sa mise en scène à la Comédie Française, Alain Françon plonge le spectateur dans l'univers clos des trois sœurs Prozorov : Olga, Macha et Irina. C'est un jour de fête dans la maison familiale, le père est mort depuis un an, c'est donc la fin d'un deuil et l'espoir d'une nouvelle vie, une « vie qui n'a pas encore été belle pour les trois sœurs » comme le dit Irina : les filles veulent quitter la maison et rejoindre Moscou, leur ville natale, pour travailler. Et ce désir de travail contribue à faire de ces personnages féminins de Tchekhov des femmes modernes ayant soif d'indépendance. Cependant, l'heure n'est pas au départ mais plutôt aux bavardages. En effet, des soldats et amis de la famille prennent part au repas, de même que le frère, Andreï, accompagné de sa fiancée Natacha. « Quel ennui de vivre dans ce monde ! » dit Macha, un monde où Natacha a pris le pouvoir c'est à présent la mère de famille de la maison , un monde où les sœurs travaillent, conversent, aiment, dansent et chantent parfois, mais subissent divers aléas comme l'incendie d'une partie du village, disent adieu aux soldats, vieillissent. Village et maison se vident, et à la fin ne restent que les espoirs qui subsistent malgré les larmes ainsi que les interrogations qui résonnent autant chez elles que chez le spectateur : « Pourquoi on vit ? Pourquoi on souffre ? ». Cette pièce d'environ trois heures est longue, certes, mais contrairement aux sœurs, le spectateur ne s'ennuie pas grâce au jeu passionné des acteurs de la troupe de la Comédie française mention spéciale à Florence Viala (Olga), Georgia Scalliet (Irina), Elsa Lepoivre (Macha) pleines de grâce et au charismatique Michel Vuillermoz dans le rôle du lieutenant-colonel Verchinine. L'impression de rentrer dans un monde à part est renforcée par les intermèdes musicaux au violon, qui donnent une belle unité à la pièce. Et si les décors splendides, comme les costumes changent au fil des actes, nous restons bel et bien dans la maison, ou juste à coté, comme pour insister sur la thématique du départ retardé. La conviction que des jours meilleurs sont à venir s'étant effilochée au fil de la pièce, on ressort du théâtre relativement gagné par ce pessimisme mais avec l'envie de vivre pleinement.
Ivanne Galant
Les Trois Sœurs d'Anton Tchekhov Avec Les élèves comédiens de la Comédie Française : Laurent Cogez : Soldat et musicien La Violoniste : Floriane Bonanni Équipe artistique : Traduction : André Markowicz et Françoise Morvan
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