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Au Lucernaire
53 rue Notre-Dame des champs
75006 Paris.
tél. : 01 45 44 57 34
Du 25 avril au 2 juin 2012 à 21h30
Au festival off d'Avignon
Théâtre des Lucioles
10 Rue Rempart St Lazare
84000 Avignon
tél : 04 90 14 05 51
Du 7 au 28 juillet 2012 à 16h30
« Ce n'est plus une famille, c'est chacun pour soi », déclarait il y a quelques jours une ouvrière de chez Lejaby interrogée sur une radio nationale.
Cette nouvelle donne dans le monde du travail en entreprise, c'est ce dont parle déjà « Les travaux et les jours », pièce que Michel Vinaver a écrite en 1977.
L'action se déroule au Service Après-Ventes de la société Cosson, entreprise familiale spécialisée dans la fabrication de moulins à café, la qualité française emblématique du made in France au temps de Giscard, de la loi Veil, des DS Citroën, de Plastic Bertrand, de Procol Harum (illustrations musicales du spectacle), des 40 heures de travail par semaine et de la libération des mœurs. C'était le temps où il semblerait que les employés de bureau étaient heureux de se
retrouver entre collègues au travail pour assurer la bonne marche des services, défendre la réputation de l'entreprise, satisfaire le client, le tout dans la bonne humeur, malgré quelques petites chamailleries qui relèvent de la Bibliothèque Rose par comparaison avec les méthodes de management, le harcèlement et les suicides au travail aujourd'hui.
Évidemment, pour les plus jeunes qui n'ont pas connu cette époque, « Les travaux et les jours » peut passer pour un récit fantastique, un songe, un bon trip, un rêve d'idéal des rapports petit personnel/supérieurs hiérarchiques/patrons, entreprise/client.
Les moins jeunes, eux, se souviendront que cette ère a bel et bien existé : celle où les employés trouvaient un sens à leur présence dans l'entreprise, à leur rôle d'intermédiaires auprès du client. C'était l'ère pré-plate-forme téléphonique automatisée et délocalisée, l'ère des SAV joignables directement dont le personnel se mettait en quatre pour trouver une solution rapide afin de réparer votre appareil sous garantie.
C'est encore comme ça que ça se passe au SAV de chez Cosson dans « Les travaux et les jours » où travaillent Anne, la secrétaire, Nicole, la sténo-dactylo, et Yvette, la jeune stagiaire, sous les ordres de Jaudouard, le chef de service, et sous le charme rugueux de Guillero, le magasinier espagnol.
La pièce de Michel Vinaver nous donne à déguster la mécanique de tout ce petit monde au travail et de tout ce qui travaille ce petit monde : le souci du client et les soucis personnels se mêlent, s'entrecroisent, tissent les alliances, les amitiés – plus si affinités – entre collègues.
Dans une langue tantôt prosaïque, tantôt poétique, tantôt concrète, tantôt évanescente, Michel Vinaver, en neuf tableaux, dépeint avec beaucoup de justesse, d'humour et de tendresse la force des liens qui unissent ces personnages entre eux et à leur métier. La pièce témoigne d'un temps qui n'est plus, et du temps qui sera : celui de l'informatisation, des fermetures de services, des délocalisations, des mises au placard, des plans sociaux.
Heureusement pour ses personnages, ce n'est que le tout début du phénomène, et les spectateurs repartent heureux de savoir que les cinq collègues du SAV de chez Cosson ont trouvé, chacun à sa façon, le moyen de parer les premières salves du massacre.
Valérie Grail signe une mise en scène et une direction d'acteurs qui s'évertuent à rendre compte du savant équilibre de la mécanique de l'écriture vinavérienne : celle du travail répétitif de ces employés dont la routine des gestes et de la parole au travail est par moments brisée par le jaillissement de blessures intimes. C'est là toute la difficulté de la représentation et du jeu des comédiens avec cette pièce dont l'écriture zigzague en permanence entre ces deux pôles
: la vie au travail, et le travail de la vie.
Belle scénographie de Charlotte Villermet, une harmonieuse grisaille bureaucratique. Belle illustration musicale de Stefano Genovese, un contrepoint mélancolique à ce monde en voie de disparition. Belle performance d'acteurs, notamment pour Agathe L'Huillier qui réussit d'un bout à l'autre du spectacle à camper une Nicole d'une luminosité vacillante qui épouse si bien l'univers vinavérien. Belle mise en scène de Valérie Grail qui se fraye un chemin entre vignettes rétro
et automatismes ritualisés à la Jacques Tati, le tout fonctionnant à la perfection.
Philippe Loubat-Delranc
Les travaux et les jours
de Michel Vinaver
mise en scène : Valérie Grail
Avec : Cédric David, Luc Ducros, Agathe L'huillier, Julie Ménard et Mireille Roussel.
Musique : Stefano Genovese
Scénographie : Charlotte Villermet
Créateur Lumières : Christophe Bruyas
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