LES CRABES |
Théâtre Clavel À voir en ce moment au Théâtre Clavel une œuvre moins connue de Roland Dubillard qui nous a quittés en décembre dernier. Cette pièce nous raconte comment deux jeunes gens asphyxiés financièrement vont louer leur maison à un couple qui va se révéler plus dévastateur au final que leurs problèmes d’argent. Sur cet argument, le maître de l’absurde a ciselé comme à son habitude un texte délirant et poétique, avec des mots qui s’enchaînent sans aucune logique apparente, alliant verbe sens dessus dessous et digressions parfaitement illogiques. Dans un univers complètement irréaliste, les dialogues s’enchaînent sans aucune rationalité. Tout concourt à faire perdre pied au spectateur. L’auteur jongle avec les enchaînements, les rimes, les sonorités et offre un texte poétique, fait pour la diction, à la fois challenge et régal pour les comédiens. Les quatre qui relèvent ici le défi offrent aux rôles toute la folie qui sied. Dans une confusion extrême, on ne sait qui est l’hôte et de qui, qui sont finalement les crabes. La mise en scène de Jean-Baptiste Fournier qui interprète également le locataire est à l’unisson. L’absurde est partout dans le texte bien sûr mais aussi dans les gestes, les déplacements. Cyrille Etourneau et Natacha Sardou forment un jeune couple complètement dépassé, essayant sans succès de ne pas perdre pied dans un univers qui leur devient tout à coup complètement hostile et incompréhensible. Christelle de St Riquier et Jean-Baptiste Fournier incarnent avec la démence qui convient ce couple venu finalement noyer ses amours dans une location de bord de mer. Ces quatre doux dingues habitent avec ferveur leurs personnages déments et déjantés. Ils distillent avec art les malentendus, dans un débit qui ne laisse aucun répit au spectateur jusqu’à ce que celui-ci se libère dans un rire salvateur, subjugué par l’enchaînement loufoque et poétique des mots que le jeu des comédiens oblige à écouter avec une attention de chaque instant. Dans ce monde-là, l’univers sonore tient une place prépondérante. Au début, avant l’entrée en scène des protagonistes, chants de cigale, d’oiseaux, léger ressac, l’atmosphère est paisible. Puis le bruit des vagues va devenir envahissant, bruits aqueux divers qui éclatent comme des bulles, accords dissonants. Sébastien St Lezin et Lola Granit réalisent là une belle création, parfaitement en accord. Amateurs de logique, esprits cartésiens s’abstenir. Pour les autres, courez-y, c’est un pur régal.
Nicole Bourbon
Les crabes Texte de Roland Dubillard
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