LE VICAIRE |
Théâtre André Malraux
Comme dans le film Amen, réalisé par Costa-Gavras et sorti dans les salles en 2002, Le Vicaire de (et avec) Jean-Paul Tribout se base sur la pièce de théâtre éponyme écrite en 1963 par l'Allemand Rolf Hochhuth. Toute la difficulté de son adaptation était de faire de cette œuvre expiatoire et iconoclaste de huit heures un documentaire historique vivant de deux heures. À cet exercice difficile, déjà, le film Amen avait dû se plier. En sélectionnant sciemment les passages les plus polémiques de la pièce de Hochhuth et en extrapolant les passages les plus forts relatés dans la biographie de l'officier SS Gerstein (qui a bel et bien existé), Costa-Gavras avait réussi à peindre une fresque poignante de la Shoah vue par le regard d'un prêtre en même temps qu'il offrait un pamphlet contre l'attentisme des puissances Alliées et du pape de l'époque, Pie XII, supposé en connivence avec le régime nazi. Ici, Jean-Paul Tribout offre une vision complémentaire plus réaliste et davantage fidèle à l'œuvre originelle de Hochhuth dans la mesure où les scènes avec le pape sont restituées et mises en valeur, contrairement à Costa-Gavras qui les avait supprimées dans Amen, comme pour mieux souligner l'inaction des représentants du Saint-Siège. De fait, le spectateur est laissé libre d'interpréter la part de responsabilités des divers acteurs politiques qui ont été confrontés aux mêmes faits historiques de l'holocauste. Grâce au très bon jeu des comédiens dont les personnages sont habités tantôt par le laxisme, la culpabilité, la révolte et l'impuissance, le public comprend bien que le contexte difficile de l'époque ne permettait pas d'émettre les décisions aussi tranchées que l'on pourrait avoir aujourd'hui avec le recul historique qui est le nôtre. L'ambiance générale aide en ce sens car le décor et la mise en scène sont à la fois sobres et sombres, minimalistes et intimistes, comme pour mieux mettre en lumière les acteurs d'une histoire qui cherche à éclairer les spectateurs sur l'Histoire. À la lourdeur du poids des évènements et de leurs effets rapportés par un Gerstein et un Riccardo empreints de drame et de gravité s'oppose la légèreté du phrasé ironique et flegmatique d'un cardinal qui parvient à nous faire rire dans ces moments d'indignité. Le pape se révèle pétri d'antagonismes, à la fois droit et hautain, implacable et humain, tandis que le comte Fontana est tiraillé entre le respect du pape et l'amour de son fils. Avec cette pièce, outre l'aspect historique, Tribout invite à la réflexion philosophique en pointant du doigt la question de l'éthique à laquelle seuls deux personnages semblent ne pas déroger. Comme le soldat obéit au chef de guerre, le prêtre suit les ordres du pape. Ainsi, le militaire et le religieux se mêlent via l'intérêt politique et piétinent la morale au nom de la raison d'Etat et de la haine envers des soviétiques ralliés à l'Eglise orthodoxe. Diabolisés par le Saint-Siège dont Hitler semblait être le nouveau chevalier teutonique, ces mêmes ennemis communs bolchéviques seront finalement les libérateurs des camps de concentration après avoir été les vils oppresseurs de l'intelligentsia polonaise.
Camille Grosjean Le Vicaire de Rolf Hochhuth Avec :
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