LE ROI LEAR
Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet
75004 Paris
01.42.74.22.77
Jusqu'au 28 mai
les 16, 17, 21, 22, 23, 24, 27, 28 mai à 19h30
dimanche 18 mai à 17h00
Difficile de venir se glisser dans la tempête d'éloges que reçoit ce spectacle de la part de la quasi-totalité des grands medias et des critiques reconnus de l'hexagone. Une unanimité impressionnante pour ce Roi Lear mis en scène par Christian Schiaretti qui, c'est vrai, est d'une tenue parfaite et d'une cohérence évidente avec le thème central de la pièce : la folie et la folie de la sénilité.
Pourtant la sauce ne prend pas vraiment malgré une conception de mise en scène très pensée.
Christian Schiaretti place l'action de la tragédie au centre d'un décor en demi-cercle qui rappelle le Globe de Londres, qui évoque aussi une arène digne du Colisée, trois niveaux de portes superposées qui ferment le plateau du Théâtre de la Ville, des portes qui s'ouvriront plus tard et qui feront alors penser au crâne d'un fou ouvert à tous les vents. Au milieu de ce demi-cercle, à peine visible, un rectangle : la scène qui va être le théâtre de la plupart des actions. Toute cette structure abondamment réfléchie distancie automatiquement le drame. Rien n'est vraiment réel ici.
Le reste est à l'avenant : des costumes volontairement kitsch qu'on dirait trouvés dans une boutique de farces et attrape, un sang bien rouge pour la barbarie, une charretée de terre et de paille pour salir un peu cet univers trop lisse et puis un jeu d'acteur qui oscille entre le rien et l'excès. La cohérence, ici encore, est parfaite avec cette pièce où tous les personnages principaux ont un double visage, où donc, tous les personnages à un moment ou à un autre jouent un rôle.
Théâtre dans le théâtre à l'évidence. C'est écrit. Et parfaitement retranscrit sur scène.
Pour aller plus loin, ce spectacle possède la force de ce que doit être le théâtre : un questionnement sur l'inexprimable. Cette série atroce de trahisons, de décisions folles, d'injustices et surtout, cette perte du jugement causé par la vieillesse et l'effroyable chaos qu'elle génère, cette sénilité qui nous attend tous et qui est une si grande peur qu'elle en devient taboue. De ces sujets qui sont comme des gouffres. Comment faire prendre conscience d'un gouffre sinon en décrivant minutieusement les montagnes et les falaises qui le dessinent ? Christian Schiaretti se débat avec intelligence dans ce dilemme en donnant à ses comédiens des codes de jeux alternatifs comme le courant : connectés par moments, semblant se déconnecter à d'autres, avec une mécanique d'ensemble presque chorégraphiée.
Alors surgit Serge Merlin dans le rôle titre. Vibrant, tonitruant, tous à tour effrayant, tour à tour pathétique, il emporte chaque scène comme un tourbillon capable de devenir tornade et d'entraîner tout le monde dans son agitation. Un Serge Merlin presque chétif qui semble contenir un géant à l'intérieur de lui. Sa voix déclame des imprécations monstrueuses ou des gémissements enfantins, tout un échantillonnage de cordes qu'il fait vibrer dès la première scène et qu'il continuera à faire vibrer tout au long des quatre heures du spectacle. Un Serge Merlin tellement virevoltant que les 23 autres comédiens semblent le plus souvent le regarder.
Ajoutez à cela qu'on est happé par l'incroyable sens de la construction dramatique de Shakespeare, attendant la scène suivante comme un épisode plein de suspens et de coup d'éclat.
Et pourtant le spectacle ne décolle pas vraiment. La distribution est assez inégale. Les filles du vieux roi semblent plus des princesses de conte de fée que de voraces créatures de chair. Les fils de Gloucester, l'un félon, l'autre victime obligé de se travestir en pauvre Tom, pauvre fou, manquent de pertinence : le premier semble un cynique trop aimable, le second table tout sur une technique trop froide qui le vide de tout sentiment. D'autres s'en sortent beaucoup mieux : Philippe Duclos, Philippe Sire, Julien Tiphaine pour en citer quelques-uns mais il serait trop long de passer toute la distribution en revue.
Voilà, c'est comme si nous avions une maquette précise et juste, tout est là, on attend juste que quelqu'un dise « Allez-y ! » pour que la magie opère, mais c'est le silence.
Bruno Fougniès
Le roi Lear
Texte de William Shakespeare, texte français Yves Bonnefoy
Mise en scène Christian Schiaretti
Dramaturgie Florent Siaud
Avec : Serge Merlin, Pauline Bayle, Andrew Bennett, Magali Bonat, Olivier Borle, Paterne Boungou, Clément Carabédian, Philippe Duclos, Philippe Dusigne, Christophe Maltot, Mathieu Petit, Clara Simpson, Philippe Sire, Julien Tiphaine, Vincent Winterhalter, Marc Zinga
et Victor Bratovic, Romain Bressy, Franck Fargier, Lucas Fernandez, Florent Maréchal, Sven Narbonne, Joël Prudent, Loïc Yavorsky
Scénographie et accessoires Fanny Gamet d'après une idée de Christian Schiaretti,
Costumes Thibaut Welchlin
Lumières Julia Grand
Coiffures, maquillages Romain Marietti
Son Laurent Dureux
Collaboratrice artistique Michèle Merlin
Assistante à la mise en scène Yasmina Remil
élève- assistante de l'ENSATT Julie Guichard