LE PRIX DES BOÎTES |
Athénée Louis Jouvet Ce sont deux vieilles. Elles sont sœurs et rendues à la solitude. Elles n'ont pas bon caractère et leur univers s'est peu à peu réduit à leurs maisons, leurs chats, quelques commérages. Tout le monde est mort autour d'elles maintenant ou tout le monde est parti. Les rêves aussi, rêves de mariage, rêves d'amour, rêves d'enfantement, partis. Restent quelques souvenirs, les vieilles rancunes, les reproches antédiluviens, jamais pardonnés et les blessures de la vie. Elles sont l'une en face de l'autre comme face à un miroir : les mêmes échecs, les mêmes souvenirs ou presque et les mêmes préoccupations dorénavant. Deux sœurs arrivées presque au bout du chemin, qui n'attendent plus rien de ce monde. Alors elles s'aiment et se détestent totalement, elles se supportent dans les deux sens du terme. Elles pourraient être éternelles ces deux vieilles, figées dans un monde changeant qu'elles observent de leurs fenêtres. Mais elles ne sont pas immortelles. L'aînée est en train de perdre la mémoire tandis que l'autre sent que le cancer revient dans son ventre après avoir déjà emporté l'un de ses seins. Alors le monde va se rappeler à leurs mauvais souvenirs sous prétexte de leur venir en aide, mais en réalité, pour finir de les dépouiller, de les dépecer. C'est une machine implacable qui se met en place, une machine qui sous prétexte d'humanité, de secours, d'aide, broie l'individu dès qu'il est trop faible, détruit ses dernières dignités et se nourrit de ses restes : d'abord un profiteur qui va abuser du bon cœur de l'aînée et de ses pertes de mémoire (un travesti qui vient régulièrement extorquer la vieille de ses économies pour payer ses opérations chirurgicales. Elle le prend pour un chat). Puis viennent les institutions : le médecin et son diagnostique Alzheimer - puis l'auxiliaire de vie, puis la tutrice légale, puis l'asile. La machine infernale. Frédéric Pommier a construit une histoire pleine de ce rire violent, mordant et lucide qui ressemble tellement à la vie. À partir d'un sujet effrayant, il fait une pièce vive, lumineuse, sans concession. Jorge Lavelli s'est emparé de ces personnages presque stéréotypés avec la démesure et la sensibilité nécessaires pour que le rire libère. Sa mise en scène est par contre d'une sobriété magnifique. La nudité du plateau évoque l'univers clinique psychiatrique et laisse s'épanouir chacun des protagonistes. Et quels interprètes ! Une distribution en or : Catherine Hiegel, surhumaine d'intensité, Francine Bergé, fragile comme du papier bible, Liliane Rovère rugueuse et réelle à souhait, Sophie Neveu, terrible fonctionnaire névrosée, Raoul Fernandez improbable transsexuel sans conscience et Francis Leplay tout droit sorti d'un soap-opéra sud-américain. Ils ne sont ni serviteurs d'un texte, ni objet de laboratoire pris dans une machine scénographique, ni vedettes à la quête d'applaudissements faciles. Ce spectacle remet les comédiens à leur place : au centre du théâtre. Il est rare de trouver cette alchimie, cet équilibre de talents dans un spectacle. Il faut aller le savourer entre éclats de rire et frissons d'horreur devant ce qui nous attend. Chapeau.
Bruno Fougnies
Le prix des boîtes Texte Frédéric Pommier avec
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