LE NAZI ET LE BARBIER |
La Manufacture des Abbesses Au moment où le cinéma fait revivre Annah Harendt et sa théorie de la banalité du mal, un spectacle magnifique et éprouvant nous emmène sur les mêmes chemins. Il nous raconte l'histoire de Max Schultz, pur Aryen qui prendra après la guerre l'identité de Itzig Finkelstein, son voisin et ami qu'il a froidement assassiné ainsi que toute sa famille. Toute l'histoire est portée par un comédien, David Nathanson, l'Immense comédien devrais-je dire, tant il est impressionnant, étonnant, incroyable, bouleversant, prodigieux enfin dans ce rôle du narrateur qui devient tous les personnages, tour à tour, Max Schultz bien sûr mais aussi, son père, sa mère, un chauffeur de taxi, et bien d'autres encore, et on les voit tous, par la magie du geste et de la voix qu'il travaille à sa guise. Et il parle, parle, raconte encore et encore et jamais l'attention ne se relâche tant on est suspendu à ses lèvres, captivé par ces mots qui brûlent l'esprit et glacent l'âme. Il fait sien le superbe texte de Edgar Hilsenrath, cette farce satirique qui fait revivre avec quel éclat et quelle truculence la montée du nazisme, la shoah, l'arrivée des juifs rescapés en Palestine et le début de l'état d'Israël. Truculent oui car le tout est imprégné d'humour, d'un humour très noir, celui dont on dit qu'il est la politesse du désespoir. Et c'est fort. Et c'est cruel. Et c'est dévastateur. David Nathanson donne vie à ce personnage de roman et avec quel talent ; ce personnage victime et bourreau, mort et vivant, disparu et voleur, homme et monstre, qui ne sortira jamais de la nuit et du brouillard, il parvient à nous le rendre attachant, et on suit les méandres de sa vie picaresque avec fascination, dans des séquences qui nous rendent effarés – l'endoctrinement, les massacres – ou portés au rire – la circoncision, les allers retours en taxi entre le bordel de Jaffa et celui de Tel-Aviv –. Un homme qui pourrait un jour être notre voisin, notre frère, nous peut-être. Le spectacle est accompagné d'une formidable bande son mêlant musique et extraits de discours d'Hitler. Et on comprend comment ce dernier a pu manipuler tout un peuple, jouant sur ses peurs et ses frustrations, ce qui nous vaut une effrayante scène à donner le frisson, mais tout ce cheminement vers la haine et les meurtres est narré avec une verve littéralement envoûtante. Et les scènes se déroulent, suscitant émotions diverses,effroi, malaise, rires, tant le comédien maîtrise parfaitement son sujet, incarnant l'horreur et l'abomination de son héros avec une belle maestria, utilisant avec un art consommé l'ironie intelligente qui permet de rire du pire, jusqu'au final qui nous laisse écrasé sur nos sièges, la gorge serrée. Voilà un spectacle que tous devraient voir, toutes générations confondues, qui donne à réfléchir mais sans ennuyeux souci didactique. Pour que l'on n'oublie pas que la bête immonde est toujours là, tapie dans l'ombre, attendant patiemment son heure.
Nicole Bourbon
Le Nazi et le Barbier Auteur : Edgar Hilsenrath Avec : David Nathanson Metteur en scène : Tatiana Werner
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