LE MONTE-PLATS

Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
01 45 44 57 34

Jusqu’au 20 mai 2018
Du mardi au samedi à 18h30
le dimanche à 15h

 

Le Monte-plats loupe 

Le Monte-plats, pièce de théâtre en un acte du dramaturge et Prix Nobel de littérature anglais Harold Pinter créée à Londres en 1960, est fréquemment jouée, notamment en France.

Le metteur en scène Étienne Launay en donne au Lucernaire une version personnelle et inédite.

Dans ce huis clos absurde et ténébreux, deux tueurs à gages, Ben et Gus, attendent, planqués dans un sous-sol, les directives pour l’exécution de leur prochain contrat.

Les heures s’égrènent avec lenteur et, pour tromper leur ennui, leur inquiétude grandissante et tuer le temps – en attendant de tuer leur prochaine victime – ils échangent des propos banals et insignifiants au cours desquels s’instaure très vite un rapport dominant/dominé.

Ben apparaît ainsi comme celui dont l’ascendant est incontestable. Il est celui qui a toujours raison, celui qui donne des ordres (« Va faire le thé » ; « Allume la bouilloire » ; « Ramasse-la » ; « Ouvre-la ») et Gus celui qui exécute.

Mais, dans l’ordre sociétal auquel ils appartiennent, dans l’organisation pyramidale dont ils font partie, il en est un qui se trouve au-dessus d’eux, un dirigeant dont ils attendent les instructions, sans savoir sous quelle forme elles leur parviendront.

Finalement, c’est par l’intermédiaire d’un monte-plat qui se met soudain en branle dans la pièce qu’un message leur est délivré.

Un message sous la forme d’une commande de restaurant, aussi absurde qu’incompréhensible, suivie d’une autre commande tout aussi absurde, puis d’une autre encore, toutes plus délirantes les unes que les autres, les deux comparses étant bien évidemment dans l’incapacité de fournir les divers plats qui leur sont demandés.

Ce monte-plats devient rapidement un troisième personnage, voire le personnage principal, qui donne son titre à la pièce, symbole d’une autorité invisible dont les exigences s’avèrent sans fin et impossibles à satisfaire.

Face à lui, Ben et Gus ne sont que deux marionnettes dont il tire les ficelles.

Saluons au passage la pertinence de l’affiche qui représente deux silhouettes reliées par un fil à une main gigantesque qui les manipule.

Le message de la pièce est évident.

Sous des dehors comiques, Le Monte-plats parle de soumission, d’obéissance aveugle et, en dépeignant une société asservie qui exécute les ordres, aussi absurdes soient-ils, nous invite à réfléchir sur nos rapports avec l’autorité.

La mise en scène d’Étienne Launay est particulièrement originale : dédoublant le tandem de Gus et Ben, il a placé ses quatre interprètes en miroir, les faisant évoluer et alterner sur la scène, approche nullement gratuite car très astucieuse. En effet, elle anime le plateau et apporte de la dynamique à une pièce qui, faite d’attente, de silences, d’échanges de propos insipides, pourrait vite sembler ennuyeuse et lasser le spectateur. Et en plus, elle donne du travail à non pas deux mais quatre comédiens.

On peut en revanche déplorer le fait que, dès le début, les protagonistes apparaissent avec leur arme, ce qui laisse d’emblée deviner que ce sont des tueurs à gages, alors que rien ne l’indique dans les didascalies. Ce parti-pris du metteur en scène déflore le sujet en supprimant le suspense induit par la situation, qui pourrait laissait penser qu’il s’agit de deux serveurs venus pour un extra et qui attendent des directives dans un local mis à leur disposition. Hypothèse que vient renforcer la description que fait Gus de la vaisselle en porcelaine qu’il a découverte dans la cuisine. 

On peut également regretter qu’Étienne Launay n’ait pas respecté les indications de l’auteur qui place le monte-plats au milieu de la pièce, entre les deux lits, contre le mur du fond, en faisant ainsi un élément central.

Deux remarques qui n’enlèvent cependant rien à la portée de la pièce, servie par quatre acteurs au jeu juste et convaincant.

Élishéva Zonabend

 

Le Monte-plats

D’Harold Pinter
Mise en scène : Étienne Launay
Assistant mise en scène : Pierre-Louis Laugérias
Musique originale : Adrian Edeline
Création lumières : Kevin Hermen
Traduction : Mitch Hooper, Anatole De Bodinat et Alexis Victor

Avec : Benjamin Kühn, Simon Larvaron, Bob Levasseur, Mathias Minne

 

Mis en ligne le 7 mai 2018