LE MARDI OÙ MORTY EST MORT
Théâtre de l'Aquarium
La cartoucherie, route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Tél : 01 43 74 72 74
Jusqu'au 13 avril
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h
Photos Jean Louis Fernandez
« Là, c'est le matin. » dit-il.
Le nœud du drame ? Il est à la rubrique des chiens écrasés. Morty, pauvre clebs échappé à son maître s'attrape une balle perdue, un jour, là-bas, dans une province suédoise, un parc ou quelque chose qui y ressemble. Une mort qui n'est bizarrement pas une faute originelle susceptible d'engendrer une mécanique tragique mais un événement presque anodin, dû à un hasard totalement fou.
« Là, c'est le soir »
La pièce de Rasmus Lindberg s'attache à des personnages de tous les jours, des personnages simples, épurés de toute introspection, qui vivent les événements dans une immédiateté presque naïve. Ce sont des êtres qui réagissent au temps présent, qui portent le poids de leur passé et de leurs désirs sans intention préalable ou volonté de pouvoir. Ils ont cette vérité du quotidien, loin de l'héroïque conscience des personnages aux prises avec des choix cornéliens, en réaction instinctive, presque animale, ils sont juste des bouillons d'émotions.
« Là… c'est le matin »
Dans cette immédiateté, chaque personnage de cette pièce est comme une flamme en marche. Nulle quête ne les habite : ils sont dans l'épidermique, en réaction sensuelle avec les événements qu'ils affrontent. Mais chacun d'eux porte, malgré lui, le poids des manques et le poids des peines.
L'écrasement des tragédies. Dans ce collage de vies, chacune prise dans son propre reflet, tout s'égalise : la mort d'un mari avec qui l'on a vécu bravement toute une existence morne, la rupture amoureuse déchirante d'un jeune couple, la disparition de son toutou, un cancer sans rémission, un désir capable de soulever des montagnes, un suicide… chaque drame personnel supplante le drame de l'autre. Mais ceci est le fond noir de la farce car l'écriture de Ramus Lindberg n'est que pirouette et légèreté.
« Là, c'est dix-sept ans après. »
François Rancillac a trouvé le truc qui lui permet de voltiger d'un lieu et d'un personnage à un autre sans perdre une seconde, car le texte est construit en courtes scènes vives et aléatoires. Une palissade ferme le plateau : c'est derrière ce castelet géant, comme dans un chantier de destruction ou de reconstruction, que vont apparaître les personnages. Le fil du récit se tisse à mesure de leurs apparitions. Ils sont extravagants, burlesques, hors de la réalité dans laquelle ils sont pourtant si englués. Ils portent perruques, postiches, déguisements, s'agitent parfois comme des marionnettes infatigables et déclenchent sourires et rires. Un rire libérateur, bienfaiteur.
« Là, c'est le soir. Là, c'est le matin. Là, c'est le soir… »
Cette scénographie a l'avantage de mettre sur le même plan, comme à égalité, des drames qui « normalement » ne devrait par être comparables : le désarroi du maître qui perd son chien, la désolation de celle qui apprend qu'elle a une maladie incurable, l'abîme de souffrance de celui qui est quitté par la femme qu'il aime, l'insondable désespoir de celle dont la passion amoureuse est repoussée… une sorte d'infranchissable égoïsme régit chaque vie. Mais l'auteur ne fait qu'un constat comme on renifle l'air du temps… Là, c'est le jour où on a été à Copenhague.
Ce spectacle a cette vertu : se pencher sur des inquiétudes contemporaines au fond âpre en leur insufflant une humanité simple et joyeuse, drôle, dérisoire et sensible. Un instant.
Bruno Fougniès
Le mardi où Morty est mort
De Rasmus Lindberg, traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy et Karine Serres (Ed. Espace 34)
Mise en scène François Rancillac
Scénographie et costumes Steen Halbro
Lumière Rosemonde Arrambourg
Son et régie son Michel Maurer
Avec :
Julien Bonnet : Johan, le Papa Pasteur, le chien Morty
Maxime Dubreuil : Sonny
Thomas Gornet : Herbert
Laëtitia Le Mesle : Amanda
Valérie Vivier : Edith