Théâtre du Gymnase Marie Bell
38, Boulevard Bonne Nouvelle
75010 Paris
Réservation:01 42 46 79 79
les jeudis vendredis samedis à 21H30,jusqu'au 9 juin
« Comparaison n'est pas raison », nous ne tenterons donc pas de comparer ce spectacle avec tel ou tel autre, représenté ailleurs, en d'autres temps.
Disons simplement qu'ici, sur cette scène nue du théâtre de Nesle, quand la pièce (tirée de l'œuvre de Gogol) commence, nous sommes déjà au cœur du drame. Dans une pénombre sinistre, un personnage tout aussi sombre entre : il porte une boite à la main d'où il tirera successivement un violon puis des haillons. L'homme parait tourmenté, en proie à des sortes d'hallucinations. Cet employé de bureau entreprend alors de nous raconter non sa vie, mais ses dernières
semaines, ses derniers mois. Assez vite, quelque chose coince : il entend des chiens parler. Une entrevue houleuse avec son chef nous permet d'avoir une idée du milieu de la bureaucratie russe au XIX ème siècle, Au passage, cette pensée : « Les chiens sont de vrais politiciens, ils observent les faits et gestes des hommes »
Nous aurions préféré, peut-être une mise en scène précise, qui fasse mieux exister les lieux. Mais ce côté erratique est aussi celui du personnage qui, entre deux lettres de chiens qu'il a récupérées, lit la presse : il se voit roi d'Espagne, le devient, il joue à aller au bureau, comme ça, pour rire. « Le cerveau, clame-t-il, c'est le vent qui vient de la mer Caspienne qui l'apporte. » On finit par l'enfermer.
La montée de la folie aurait sans doute gagnée à être un peu plus progressive. Si le jeu du comédien surprend au début par son excès, il se justifie dans la seconde partie, là où le délire du personnage se fait plus aigu, plus paroxystique, au point qu'il le secoue de spasmes et le rend nettement maniaco-dépressif.
Portant, et pour cause, le spectacle à bout de bras, Syrus Shahidi est un comédien inspiré : nous l'avions déjà apprécié dans « Blasted », au même théâtre et sous la houlette, déjà, de Wally Bajeux. A l'aise physiquement, il tire son interprétation vers un côté « dostoïewskien » que n'avait peut-être pas prévu l'auteur mais qui fonctionne bien, finalement. Au gré des pérégrinations de ce pauvre bureaucrate qui tombe (on ne sait pourquoi) dans la folie,
Syrus nous donne à voir du désespoir, de la colère froide, une sorte d'accablement dans le regard quand il se rend compte, à de rares instants, qu'il est en train « de passer de l'autre côté ». Sans préjudice des passages plus « théâtraux » avec dialogue, où il évoque avec cocasserie un chien ou la fille de son chef. La fin est marquée, mais nous nous y attendions un peu, par un désir d'évasion, de fuite dans le ciel,
et un retour vers la mère.
Wally Bajeux doit aimer la tension, le déchaînement, le théâtre à la Antonin Artaud qui fait coup de poing. Elle n'apprécie rien tant que d'épuiser ses comédiens pour transmettre de l'émotion brute. Et nous devons avouer qu'elle y réussit. Après tout, les mots, même ceux de Gogol, ne seraient que des mots, s'ils ne résonnaient pas dans un corps qui les profère, les triture, les malaxe pour les vomir ensuite, témoins du déchirement du personnage. On sort de là sonné comme
après un match de boxe. Un spectacle efficace, donc.
Gérard NOEL
Auteur : Nicolas Gogol
Metteur en scène : Wally Bajeux
Avec : Syrus Shahidi
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