LE DINDON |
Théâtre 13 Quel plaisir que ce dindon-là ! Quelle perfection dans la mise en scène, le jeu des interprètes, le choix des décors et costumes, où tout est accentué à l'extrême tout en trouvant le moyen de rester superbement naturel. Cette comédie, l'une des plus étincelantes du maître du vaudeville, est ici magnifiquement servie par une troupe jeune et talentueuse qui fait souffler un sacré vent de fraîcheur sur cette uvre tant et tant jouée. On oublie ici l'univers petit bourgeois, pas de somptueux mobilier, de lourdes tentures, mais des panneaux doubles, des portes seules, avec des murs matérialisés par un tracé au sol que les protagonistes suivent consciencieusement et avec une application irrésistible, des tonneaux, des bobines de chantier, qui deviennent tous partie de l'histoire et accessoires de jeu dans des transformations à vue habilement chorégraphiées. Pas non plus de costumes empesés signant l'époque, mais des tenues intemporelles que Laurence Barrès, leur créatrice, a voulus à la fois luxueux et saltimbanques, très colorés. Une mise en scène d'une virtuosité diabolique qui donne tout son sens à l'action, où comiques de mots, de gestes, de situation et de caractère sont sur exploités avec bonheur, une mise en scène signée Hélène Lebarbier et Vica Zagreba, exubérante, irrésistible, désopilante, enlevée, tourbillonnante, avec, quelle bonne idée, un orchestre tzigane qui participe à l'action, la soulignant, dans une partition où les notes volent autant que les mots. Comme souvent chez Feydeau, tout tourne autour de l'adultère, dans un désordre apparent d'erreurs et de quiproquos, avec des portes qui claquent, des courses effrénées, des coups de théâtre, des sonneries intempestives, des enchaînements irrésistibles. Deux jeunes femmes qui ont juré de prendre un amant si elles étaient trompées, deux sémillants noceurs tout prêts à leur rendre ce service, une volcanique anglaise qui menace de se suicider, un Londonien à l'accent marseillais, un médecin-major retraité et sa femme, sourde comme un pot, une cocotte, tous ces personnages qui ne devraient bien sûr jamais se rencontrer sont jetés dans une course folle de situations saugrenues truffées de gags et de bons mots. Ce théâtre-là est avant tout un théâtre d'acteurs, chacun se livrant à une véritable performance et il faut des comédiens de haute volée alliant rigueur et folie pour interpréter sans fausse note cette partition diabolique. Tous ici sont excellents. Sébastien Rajon est un Pontagnac d'anthologie, il roule des yeux, grimace, saute, jetant ses répliques avec une dérision et une fausse nonchalance irrésistibles. Chaque scène est un morceau de bravoure, la parade amoureuse de Pontagnac et Radillac, incarné par un Clément Vieu cabriolant, l'hystérie de Maggy Solignac, excellente Laure Portier, je ne saurais tout citer car tout est du même tonneau, un vrai bonheur, presque deux heures de rires ininterrompus. C'est jubilatoire et savoureux et les applaudissements, longs, chaleureux et nourris du public ont été à la hauteur du plaisir visiblement éprouvé. Un Dindon à voir de toute urgence pour bien démarrer l'année.
Nicole Bourbon
Le Dindon de Georges Feydeau Avec : Vahid Abay alternance avec Aurélien Osinski (M. Pinchard, Gérôme), Jean Barlerin (Vatelin), Léonard Cortana (M. Soldignac), Perrine Dauger (Mme Pontagnac, Mme Pinchard), Aurélia Decker (Lucienne), Céline Hilbich (Armandine, Jeanne, Clara), Laure Portier (Maggy, Clara), Sébastien Rajon (Pontagnac), Clément Vieu (Rédillon) Musiciens : Steeve Barré et Fabien Bucher (guitares), Marine Goldwaser (clarinette et clarinette basse), Élodie Messmer et Aline Haelberg (violons), Stélios Lazarou (flûte, violon) Scénographie : Alice Gervaise
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