L'AVARE

Théâtre MICHEL
38, rue des Mathurins
75008 PARIS
Location : 01 42 65 35 02
Du mardi 01 novembre 2011 au jeudi 26 avril 2012

Derrière le rideau noir de fond de scène, un Géronte au regard inquiet déambule d'un pas pressé, la pelle à la main comme s'il allait enterrer et cacher quelque précieux et inavouable trésor. Il est tellement perdu dans ses gestes et ses pensées qu’il ne se rend même pas compte qu'un homme guilleret emboite chacun ses pas. Mais que trament-ils ?!

Le décor est simple et austère. Il se compose du mobilier le plus strictement nécessaire, le tout recouvert de draps poussiéreux posés contre l'usure du temps. Le miroir lui-même reflète le néant et l'absence de sens de cette vie. Harpagon, l'acariâtre et avaricieux maître de la maison, d'ailleurs y joue de temps en temps à se coiffer les cheveux alors que le miroir demeure encore couvert de son voile.

Apparaissent Cléante et Élise, les enfants d'Harpagon, bien décidés à annoncer leur projets d'amour à leur père. Or ce dernier, soucieux de ne vraiment rien dépenser et encore moins en futilités, pousse la cupidité à vouloir donner en mariage ses enfants selon des arrangements consensuels qui ne feront aucun mal au pécule se trouvant dans sa précieuse cassette. Cléante et Élise élaborent dès lors un stratagème pour plaire à leur père sans l'offusquer. Élise avoue que son cœur penche pour Valère, l'intendant dévoué du père, et confidence pour confidence, Cléante quant à lui fait part de son amour pour Marianne. Or Harpagon a d'autres projets qui protégeront ses pistoles. Il se destine en union à Marianne. Élise est promise (sans apport de dot) à Anselme, un vieillard, et Cléante est destiné à une veuve. Ceci est sans compter sans le refus énergique des deux enfants.

Harpagon, du grec ancien "harpagê", le rapace, l'avide, est omniprésent dans cette truculente comédie qui traite de sujets guère amusants : l'avarice en premier lieu, mais aussi la tyrannie domestique, l'égoïsme et ce qu'aujourd’hui on nommerait le sexisme. C'est le bourgeois qui a réussi dans les affaires d'argent, qui pense pouvoir s'acheter une douceur conjugale pour ses vieux jours, au mépris des désirs des uns et des autres, même de ses propres enfants. Mais au prix d'un coup de théâtre molièresque, tous ses projets sont ruinés et la seule consolation qui lui reste est enfermée dans une cassette.

La pièce serait vite vide d'intérêt si Molière n'y avait pas tissé une intrigue remplie de quiproquos et de facéties en subterfuge qui font porter le ridicule du personnage à son summum. C'est dans cet état d'esprit que Jean-Philippe Daguerre met en scène la pièce: Un Avare intolérant, tyrannique, égocentrique, mièvre, atteignant progressivement la folie. Le génie du metteur en scène se trouve dans la grande clarté qu'il a su apporter au récit, le rendant ainsi accessible à tout public même aux plus jeunes. Les acteurs, tous formidables, renforcent l'édifice à base solide avec leurs pierres toutes si singulières et obligatoires. Le seul bémol à mon sens est le choix d'avoir créé en jeu d'acteur un personnage de serviteur sorti directement de chez Zaza Napoli bourré de clichés et qui peut s'avérer dommageable à l'esprit d'un jeune spectateur.

Didier Lafaye se "dépense sans compter" pour nous offrir un bien bel et énergique Harpagon vicieusement élastique et attachant. Ses répliques fusent tel un million d'archers dont les flèches atteignent toujours leur cible pour notre plus grand bonheur.

Antoine Guiraud qui prête son jeu à Cléante, le fils indigne de son père, est un comédien hors-pair avec une allure et une aisance incroyable.

Élise est jouée par une Laurence Pollet-Villard généreuse, passionnée et parfaite dans son rôle de fille qui veut décider par elle-même ses vraies amours. Elle joue avec son ventre et ses poings, un régal.

Flore Vannier-Moreau est non seulement une bien jolie frimousse craquante et attachante de poupon mais sa sensibilité à fleur de peau en font une comédienne à la puissance romantique, qu’on pourrait dire baroque. Elle serait parfaite pour incarner une Élisabeth de Wittelsbach.

Stéphane Dauch qui interprète Valère nous montre grâce à ce rôle toute la force de sa présence et de sa personnalité. Il ne joue plus, il est incarné. Les personnages secondaires ne demeurent pas dans l'ombre des principaux et offrent tous une série de petits moments très jouissifs.

La mise en scène de Jean-Philippe Daguerre est d'une intensité constante de bout en bout, respectant parfaitement l'œuvre dans une ambiance extraordinaire et épurée. Finissons par ce mot d'Anselme dans la pièce:

« Allons jouir de l'allégresse que cet heureux jour nous présente ».

 

Jérôme BAILLET

 

 

L'Avare

de Molière
Mise en scène : Jean-Philippe Daguerre
Décors : Simon Gleizes et Franck Viscardi
Costumes : Catherine Lainard
Musique : Ego Moi Je

Avec : Philippe Arbeille, Pierre Benoist, Mariejo Buffon, Stéphane Dauch, Johann Dionnet, Antoine Guiraud, Didier Lafaye, Christophe de Mareuil, Bruno Negri, Laurence Pollet-Villard, Flore Vannier-Moreau, Stéphanie Wurtz