LA TRAHISON D'ENSTEIN

Théâtre Rive Gauche 
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
01 43 35 32 31

Jusqu'au 15 juin
Du mardi au jeudi à 21h,
Le vendredi et le samedi à 19h,
Matinées samedi à 15h et dimanche à 17h

Merci de cliquer sur J'aime
Mis en ligne le 26 février 2014

La trahison d'Einstein

La trahison d'Einstein ! D'emblée le titre interpelle tant ces deux mots paraissent aux antipodes l'un de l'autre. On dit Einstein et on pense savant, génie, prix Nobel, relativité tout ça, tout ça mais pas trace de délit d'aucune sorte.
Nous voici dans la salle, les lumières s'éteignent, une musique se fait entendre, les projecteurs s'allument. Nous allons savoir.

Nous voilà transportés en 1934, les dates affichées sur un écran nous indiqueront la chronologie de l'histoire jusqu'en 1955.

Nous découvrons  un drôle de personnage, un vagabond quelque peu excentrique en rupture avec la société depuis la mort de son fils lors de la première guerre mondiale et qui  vit en reclus dans une cabane de fortune sur une rive du lac New Jersey. Dans cet endroit hors du monde aux allures paisibles, assis sur son banc, il se moque d'un homme apparemment peu doué avec son voilier. C'est  Albert Einstein, fidèle à l'image que la postérité en gardera, moustache et cheveux blancs en pétard. Le premier va se lier de sympathie avec ce génie de la physique déjà mondialement reconnu. Il sera tour à tour son confident de hasard, son oreille attentive, sa soupape poétique.

Durant seize années, ils vont se voir, s'apprécier, se confier. Et peu à peu, tout s'éclaire. Einstein va exposer son dilemme sur les conséquences terribles de ses travaux sur la relativité. Sa peur que l'Allemagne nazie ne cherche à fabriquer la première bombe atomique. Reniant ses convictions de pacifique convaincu et militant, il va prévenir par lettre le président Roosevelt. de ses craintes, ce qui aura pour conséquence la bombe A lâchée sur Hiroshima.

Et on assiste avec délectation aux échanges passionnants entre ces deux personnalités extravagantes, surveillées de près par un agent du FBI qui le soupçonnant, lui, le savant juif allemand, de sympathie communiste, de traitrise peut-être, va tenter à force de pression de se servir de son confident d'ami pour le faire parler mais sans grand succès.

Éric-Emmanuel Schmitt a écrit là une pièce grave d'une remarquable intelligence sur le conflit moral d'un homme en proie avec le bien fondé de son génie scientifique à travers des conversations passionnées  entre ces deux hommes que tout oppose. Sombres, parfois drôles, parfois cyniques, elles nous parlent de politique, de sciences, des hommes, de la guerre, de remords, de doutes et d'alcool.

Partant comme souvent de faits et de personnages réels, l'auteur les cuisine à sa sauce, laissant parler son imagination, mêlant habilement paroles réellement prononcées et celles qu'il invente, personnage ayant existé et personnages créés de toutes pièces. C'est diablement bien fait, ce diable d'homme a le don d'emporter dans son univers ses lecteurs ou ses spectateurs.

On retrouve les complices habituels, Steve Suissa à la mise en scène, Jacques Rouveyrollis aux lumières et Stéfanie Jarre aux décors, ces magiciens qui donnent corps et réalité aux inventions de l'auteur.

Mariant technique classique et moyens modernes, une cabane en bois, des touffes de roseaux que complète de la vidéo donnant de l'espace et de la profondeur ainsi qu'une bande son bien choisie donnent à l'ensemble un ton quasi cinématographique. La courte séquence suggérant Hiroshima est magnifique et poignante.

Le talent de Jean-Claude Dreyfus qui prête sa stature de colosse à ce vagabond attachant, un peu bouffon, bourru, libre n'est plus à démontrer et il le prouve une fois encore. Son interprétation absolument parfaite, sincère de bout en bout, sans jamais aucun surjeu, nous fait rire, sourire ou nous émeut..

Francis Huster endosse le costume pas facile à porter d'Einstein et c'est à s'y tromper, contrairement, et c'est tant mieux,  à ce que laissait supposer l'affiche. Tout en finesse et sobriété, il nous entraîne avec subtilité dans ses doutes et ses remords.

Un troisième personnage apparaît de temps à autre, un agent du FBI, chargé de surveiller le savant, et qui nous rappelle que les États-Unis étaient plus méfiants envers les communistes qu'envers les nazis ! Dan Herszberg qui l'incarne, a un peu de mal à imposer sa présence face à ces deux immenses comédiens qui lui font face, d'autant plus que le personnage est assez épisodique.

Les lumières se rallument dans la salle, le public applaudit à tout rompre.

Puis se retrouve seul face à ses questions :
Peut-on, doit-on si les circonstances le demandent, « mettre de côté ses principes sur une étagère ? » Einstein, le pacifiste, est-il malgré lui l'inventeur de la machine qui amènera l'apocalypse ?

Avec en tête cette maxime quand même réconfortante : « La vie, en apparence, n'a aucun sens et pourtant il est impossible qu'il n'y en ait pas un ».

Patrick Rouet et Nicole Bourbon

 

La trahison d'Einstein

d'Éric Emmanuel Schmitt
Mise en scène : Steve Suissa

Avec : Francis Huster, Jean-Claude Dreyfus, Dan Herzberg

Scénographie (décors) : Stéfanie Jarre, 
Lumières : Jacques Rouveyrollis,
Costumes : Pascale Bordet,
Musique : Maxime Richelme,
Vidéo : Antoine Manichon,
Assistant mise en scène : Stéphane Froeliger

Version imprimable PDF