LA REINE DE BEAUTÉ DE LEENANE

Lucernaire 
53 rue Notre-Dame des champs
75006 Paris.
 tél. : 01 45 44 57 34

Jusqu’au 16 octobre
du mardi au samedi à 19h00
le dimanche à 15h00

 

La Reine de beauté de Leenane loupe Crédit photo © : David Krüger

L’écriture de Martin Macdonagh dialogue avec les mots du quotidien, du peuple et de la terre. On y mange des syllabes entières, on y sous-entend des dizaines de piques, de failles, d’allusions plus ou moins suspectes, on n’hésite pas à y parler cru, vert et acide.

Il est d’origine irlandaise et, dans cette pièce, il parle de son pays de naissance en explorant la mentalité villageoise d’un pays en pauvreté perpétuelle.

Ses personnages vivent dans cette campagne réputée belle mais rude, verte mais terriblement statique. L’esprit frondeur connu des Irlandais y est aussi décrit : cette fierté toujours blessée, toujours en révolte, toujours prête à en découdre avec le monde mais surtout avec son voisin dédaigneux du Royaume…

La traduction de Gildas Bourdet rend fidèlement dans chaque réplique le son du langage populaire.

L’histoire pourrait, hormis quelques détails typiques (la boue, le vent froid, la verdeur des paysages, l’insipidité de nourritures, les vaches, les meubles en formica…) se dérouler dans n’importe quelle autre campagne d’Europe, d’Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie. Dans n’importe pays où survit un quart-monde en marge de l’économie florissante.

Une mère en agonie perpétuelle, sa fille en vierge vieillissante obligée de sacrifier sa vie pour elle, un jeune voisin sans travail, sans présent, sans avenir et son grand frère en partance pour le monde meilleur de l’Amérique.

De cet univers sans rêve ni fantaisie, Martin Macdonagh réussit à extraire une verve et un humour d’une belle noirceur, un sourire et des rires qui ponctuent des répliques sans concession. Plus que de l’absurde, c’est une gourmandise des mots et des caractères qui donne vie à la pièce.

Mais c’est surtout la manière dont ont été façonnés les personnages qui fait de ce spectacle un moment de jeu jubilatoire mais aussi une vision désabusée de l’état du monde actuel.

Les deux comédiennes et les deux comédiens tiennent toute l’intensité du spectacle dans leur interprétation. Le danger de ces histoires terriennes ou populaire est de créer des personnages stéréotypés sur le canevas déjà très marqué de l’auteur. On peut très vite tomber dans la caricature, le rire facile et la superficialité boulevardière sans intérêt en faisant croire que ces personnages sont bêtes. La difficulté est de réussir à trouver toute l’intelligence de ces caractères dont les répliques semblent parfois si dénuées de logique. Car sous leurs dehors revêches, ce sont tous des p’tites malignes et des gros malins à qui on ne la fait pas.

La mise en scène de Sophie Parel (qui joue aussi le rôle de la fille, Maureen) évite totalement cet écueil. Il faut dire qu’elle s’est entourée de comédiens d’expérience dont les talents permettent d’apporter toute la finesse de jeu nécessaire à la pièce. Catherine Salviat apporte une fragilité inattendue à son personnage de mère haineuse, aigrie, acariâtre. Grégori Baquet dans le rôle du grand frère – et du prince charmant aux yeux de Maureen – créé un personnage très physique, un manœuvre à la fois rustique et sensible mais surtout charnel, avec une grande présence et une circonspection fine. Arnaud Dupont incarne le frère inculte et content de lui et mécontent de tout. Il créé ici un personnage d’une vérité si grande qu’elle en paraît naturelle. Quant à Sophie Parel, elle est une Maureen touchante, prise entre les désirs de son corps insatisfait le front buté contre lequel se heurtent toutes ses idées.

Bruno Fougniès

 

La Reine de beauté de Leenane loupe Crédit photo © : David Krüger

La Reine de beauté de Leenane

De Martin Mcdonagh
Traduction Gildas Bourdet
Mise en scène Sophie Parel
Lumières : Antonio De Carvalho Musique : Virgile Desfosses
Décor et Costumes : Philippe Varache

Avec : Catherine Salviat Sociétaire Honoraire De La Comédie-Française (Mag), Grégori Baquet (Pat Dooley), Sophie Parel (Maureen), Arnaud Dupont (Ray Dooley)

 

La Reine de beauté de Leenane loupe Crédit photo © : David Krüger

Mis en ligne le 5 septembre 2016