LA PETITE AUX TOURNESOLS |
Théâtre Essaïon Dans ce spectacle adapté du roman éponyme, c'est une petite fille de six ans qui se confie. Qui revit. Qui nous invite à partager ses souvenirs. Des souvenirs qui n'ont l'air de rien (chacun a plus ou moins les mêmes) mais qui sont tout. Arrivée en Provence d'une petite parisienne, perspective, envoûtante, de se retrouver entre filles, puisque, outre sa mère et elle, il y aura aussi une autre petite fille et sa mère. Découverte de nouvelles senteurs, la lavande, de nouveau sons, ces éternelles cigales et éblouissement face aux tournesols qui donnent leur titre au roman de Noëlle Châtelet. Assez vite, un nouvel élément apparaît, un élément séduisant et troublant à la fois, élément masculin, bien sûr, sous la forme d'un petit voisin de sept ans prénommé Rémi. Il est sauvage, direct et entraîne la jeune Mathilde (dite la Thilde ) dans des jeux nouveaux. Et dans une relation amoureuse timide et douce qui n'ose pas dire son nom mais le clame en même temps. Il y a ce décor sobre, à base de tréteaux, cadres de toiles et tissus et surtout l'utilisation intelligente et souple qu'en fait l'interprète. Il y a des trouvailles de style, comme celle-ci, au début, qui donne peut-être la clé de tout le texte : « raconter comme je veux. En ajoutant ou en retirant. À ma façon. » On entendra aussi « le premier garçon qui me fait envie comme un Carambar ! » ou « Un tracteur n'est pas un endroit pour une Mathilde. Mais pour une Thilde. » phrase magique par laquelle le garçon la nomme, tout en l'incluant dans son monde à lui. L'auteur partage sans doute, avec Proust, un côté lunaire. Cette faculté de s'immerger dans l'enfance, de s'y retrouver, de s'y ébattre comme dans cette rivière où la fillette plonge joyeusement en compagnie de son amoureux. Au début, ça picote, mais ensuite le corps se réchauffe et on s'y sent bien. Libre. On est dans l'exploration contemplative, dans la tendresse, la douceur, cette même douceur que dispense Françoise Lhopiteau, la comédienne inspirée qui porte le spectacle sur ses épaules. Elle a un naturel qui la rend proche, qui la fait sans effort se glisser dans le polo rayé d'une enfant de six ans. Qu'elle fronce le nez en signe de contrariété, ouvre les bras pour un gros câlin, ou tende éperdument la main à son chéri, on est pris. La suite, eh bien il faut y aller pour la connaître. Une fois la mise en place faite, toute coule de source. Et émeut. Bande-son soignée, musique bien venue, tout fonctionne. Dire qu'on fête déjà la 100 ème ! La 100 ème dans toute la France, mais au théâtre Essaïon, nous n'en sommes qu'au début : vous avez donc tout le temps pour aller applaudir la mise en scène inspirée de John Mc Lean, écouter les mots toujours sur le fil de Noëlle Châtelet et faire avec Françoise Lhopiteau un voyage du côté de... vous savez bien, ce « vert paradis des amours enfantines » dont parlait Baudelaire.
Gérard NOEL
La petite aux tournesols Mise en scène : John Mc Lean. Avec Françoise Lhopiteau. Musique : Jérôme Klur. Décor et création lumières : Claude Marchand.
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