LA MOUETTE |
MAC de Créteil Créée d'abord pour le festival d'Avignon, cette Mouette en tournée à travers la France nous fait le bonheur de se poser quelques jours à Créteil. Arthur Nauzyciel a fait le pari d'une mise en scène forte, originale et ambitieuse que certains pourront juger prétentieuse et ampoulée. Il est vrai qu'il n'a pas fait dans la facilité consensuelle, ne serait-ce que parce que c'est la crainte qu'on entend bruire parmi le public avant le lever du rideau la représentation dure presque quatre heures. Mais comment ne pas être emporté par des partis pris qui, loin d'être gratuits, font entendre le texte d'une façon si sensible ? À l'inverse de la mise en scène artificiellement réaliste donnée il y a quelques mois par Benedetti à Alfortville, où le texte était devenu incompréhensible à force d'être débité à la mitraillette cependant d'autres l'ont appréciée , tous les choix sont faits pour rendre la pièce plus intelligible, y compris quand c'est pour lui rendre sa part de rêve et de comique, mais avant tout quand il s'agit de magnifier sa dimension existentielle. Certes Nauzyciel a pris des libertés en adaptant le texte de Tchekhov et en l'organisant à sa façon. Par exemple, le suicide final de Treplev (Xavier Gallais) est montré dès le début du spectacle, comme pour rendre plus tragique encore son destin. Cette proposition fait-elle sens ? Bien sûr, même si elle surprend et même si, d'emblée, on comprend que cette version de la pièce n'a rien de bucolique (pas de lac, etc.). Mais elle n'en est que plus profondément poignante. Nina (à qui Marie-Sophie Ferdane prête sa voix déchirée) est particulièrement émouvante de fragilité. La relation mère-fils entre Arkadina (campée à merveille par Dominique Reymond) en actrice qui refuse de vieillir et Tréplev en auteur incompris et mal aimé est rendue dans toute son ambivalence. Mais il serait injuste de ne pas retenir l'ensemble de l'équipe pour saluer la cohérence de son travail. Le décor fait de décombres, la beauté sauvage des masques en tête d'oiseaux, les effets de lumière, le soin apporté aux costumes, les moments dansés, la musique envoûtante de Winter Family, les interventions live du chanteur Matt Elliott : tout est à l'unisson. Il en résulte une atmosphère impressionnante, lancinante et noire, profondément désespérée mais qui garde toujours sa belle élégance. La grande scène de la MAC est judicieusement mise à profit pour signifier l'isolement dans lequel chacun des personnages se trouve enfermé, dans la médiocrité de son existence, désespéré ou résigné. Quand un grand metteur en scène s'approprie avec une telle réussite un grand auteur, le résultat ne peut être que grandiose. Un spectacle sensible et intelligent, absolument remarquable. Exceptionnel.
Frédéric Manzini
La Mouette D'Anton Tchekhov Avec : Marie-Sophie Ferdane (de la Comédie-Française), Xavier Gallais, Vincent Garanger, Benoit Giros, Adèle Haenel, Mounir Margoum, Laurent Poitrenaux, Dominique Reymond, Emmanuel Salinger, Catherine Vuillez. Traduit du russe par André Markowicz et Françoise Morvan (Actes Sud, 1996)
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