LA MAISON DE BERNARDA ALBA |
Théâtre de l'Épée de Bois
Mettre en scène un des textes emblématiques du poète et dramaturge espagnol Federico García Lorca, La Maison de Bernarda Alba (1936), ce « drame de femmes dans les villages d'Espagne » est un véritable défi et le metteur en scène Antonio Díaz-Florián le relève avec une originalité et quelque liberté somme toute bienvenues. Le drame qui se noue sous nos yeux est le suivant : Bernarda Alba vient d'enterrer son mari et impose, selon les traditions ancestrales, un deuil rigoureux à ses cinq filles (quatre dans la pièce de Díaz-Florián) – Angustias, Martirio, Magdalena et Adela. Elles devront rester enfermées pendant huit années et auront pour seule activité la broderie, à l'exception d'Angustias, la plus âgée promise à un homme du village répondant au nom de Pepe el Romano. Cet homme qui n'apparaît jamais sur scène sauf en photographie est au centre de l'attention des filles de la maison : il représente le désir réprimé et attise les passions d'Adela et de Martirio. Ce huis-clos se joue dans la salle en bois du théâtre, dans l'obscurité, la scène étant uniquement éclairée par des bougies comme pour enfermer actrices et spectateurs dans une maison-couvent où Bernarda règne en mère supérieure. Telles des petites poupées déformées, les actrices jouent à genoux sous leurs longues robes noires de deuil et sont affublées de mantilles – la touche espagnole – et de fraises noires qui donnent l'impression qu'elles sont prisonnières des costumes et donc de leur condition. Les visages maquillés de blanc rappellent que les femmes ne peuvent voir la lumière du jour et font penser à des masques qui grimacent sans cesse. À ce propos, le metteur en scène affirme s'être inspiré des personnages de Velasquez, en l'occurrence les naines ou les ménines : la difformité des personnages rend plus forte la dénonciation, tout cela n'est qu'une mascarade imposée par le poids des traditions et la peur du qu'en dira-t-on. « Naître femme est le pire des châtiments » clame l'une des surs. Et en effet, dans cet ensemble en noir et blanc, difficile d'échapper à ce destin malheureux. Seules ressortent la tenue blanche tout en rideaux de María Josefa – la mère de Bernarda qui fait de brèves apparitions – qui s'échappe à sa façon de cet enfer en chantant et en rêvant de fuir ainsi que la robe verte d'Adela, la plus jeune des filles, qui ose affronter sa mère et la société qui réduit les femmes à des êtres soumis . Ce vert de l'espoir annonce la liberté affirmée par la jeune femme qui par des cris tragiques affirmera devant sa famille son amour pour Pepe, le fiancé de sa sœur. Le spectateur comprend tous les secrets de cette maison de fous, grâce aux monologues de Poncia, la servante, qui tantôt semble se laver les mains des aventures de la famille Alba, tantôt paraît tirer les ficelles de cette histoire tragique en faisant se délier les langues. S'il est évident que des femmes supportaient de telles conditions de vie dans l'Espagne des années trente, ce qui se joue sous nos yeux contemporains peut nous étonner et paraître excessif tant par le fond que par les cris et les coups récurrents. Mais on peut aussi voir cette pièce comme la chronique d'une guerre annoncée puisqu'en 1936 c'est une lutte civile et donc fratricide qui divisa l'Espagne. Enfin, la pièce dévoile à plus grande échelle la condition tragique de l'Homme du XXe siècle qui lutte entre libre arbitre (Adela) et destin (imposé par Bernarda). Les mots du dramaturge espagnol remarquablement traduits par Antonio Díaz-Florián raisonnent dans la salle et dans les curs, respectant ainsi le désir de Lorca : « Le théâtre, c'est la poésie qui sort du livre et se fait humaine ».
Ivanne Galant
La Maison de Bernarda Alba d'après l'œuvre de Federico García Lorca Avec les actrices de la troupe de l'Epée de Bois : Costumes : Abel Alba
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