LA FORMULE DU BONHEUR
Théâtre de l'Epée de Bois
La Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre
75012 PARIS
Jusqu’au 10 février, du mardi au samedi à 20h30
L’histoire se déroule dans les Ardennes, dans une petite ville de 6000 habitants appelée Nouzonville, bord de Meuse. Elle raconte la fin et le démantèlement d’une usine, une forge, le ventre actif de cette communauté qui employait la moitié de ses habitants et représentait la principale mine économique du pays. Bref le cœur de l’activité. Un cœur comme qui dirait assassiné par ce qu’on appelle la nouvelle économie, celle qui soumet les forces de travail aux forces financières des banques, des investisseurs, des fonds de pension, pour un profit immédiat d’actionnaires repus et sans âmes. Une histoire vraie. Arrivée en 2008. Un de ces contes de fée où les usines s’achètent 1 €… Rainer Sievert, auteur et interprète de ce récit, a conçu ce spectacle comme une sorte de conférence vivante. Seul en scène mais accompagné d’un musicien – musique, sons, et interventions live – ainsi que d’un régisseur qui officie sur le côté du plateau, il va tenter d’expliquer comment une entreprise rentable va en quelques années disparaître définitivement pour laisser place à un champ de ruines matériel et humain.
Alternant vidéos projections sur un écran pendu derrière lui, slide de guitare électrique, interpellations murmurées au micro, la mise en scène utilise les moyens classiques de pièces contemporaines où le public est un interlocuteur direct. Ici il se retrouve un peu comme une classe d’école devant son professeur d’économie un peu fou, parfois survolté par la colère, parfois interrogateur mais toujours impliqué dans son propos. Le tout est extrêmement pédagogique. La présence de pupitres sur le plateau accentuant ce côté cours de science un peu improvisé. Mais pour illustrer le récit, le décor se désagrège peu à peu, signifiant intelligemment le désordre et la ruine qui gagne le site de l’entreprise.
L’interprétation de Rainer Sievert est dynamique, émaillée de clins d’œil à l’actualité. Il est comme un orateur attisant la sympathie. Quant à son propos – parfois trop étayé de faits, de chiffres et de détails relativement indigestes qui rallongent sans nécessité le spectacle – il est de ceux qui sont essentiels à notre époque où la logique du travail a basculé dans la logique financière – qui n’a plus rien à voir du tout avec la logique, comme chacun sait.
Toute la pièce est par sa forme et par son fond éducative, même si les illustrations sonores ou visuelles, le jeu avec les deux acolytes du plateau et les digressions humoristiques animent la narration de Rainer Sievert. De même que le ton forcément sarcastique vis-à-vis des repreneurs-voyous coupables de la faillite et qui, malgré une condamnation devant la justice française, continuent de dépenser les millions siphonnés bien à l’abri dans leurs USA natales en fomentant d’autres coups financiers juteux qui mettront encore d’autres travailleurs et d’autres régions du monde au chômage.
Si le récit a le mérite de montrer la dureté et la violence que les financiers, depuis les banques qui abandonnent soudainement leurs engagements jusqu’aux sociétés paravents off-shore nouveaux pirates de l’économie globale, font aux travailleurs, détruisant des centaines de vies pour l’argent frais – véritables nouveaux négociants de chair humaines. Il met également à jour l’impression étrange d’un renversement de valeur. Ces usines, ces métallurgies, ces ateliers où des générations d’ouvriers ont souffert jour après jour pour gagner leurs vies, qui étaient, il y a seulement 50 ans, des sortes d’enfers tenus par des capitalistes gras et profiteurs deviennent aujourd’hui de regrettés paradis…
En cela aussi, le monde et ses valeurs ont changé.
Bruno Fougniès
La Formule du bonheur
Un récit théâtral de Rainer Sievert
Mise en scène Lionel Parlier
Collaboration dramaturgie : Marc Wels
Collaboration texte : Valérie Moinet
Musique : Manuel Langevin
Lumière et scénographie : Wilfried Schick
avec
Rainer Sievert, Manuel Langevin (musique), Wilfried Schick (régie)
Mis en ligne le 12 février 2017