LA DERNIÈRE BANDE |
Au théâtre Essaïon Après avoir épuisé les joies des pièces à quatre, puis à deux personnages, … l’exigeant Samuel Beckett eut une nouvelle idée : une pièce à un seul personnage ET un magnétophone. Ce sera « La dernière bande », pièce crépusculaire où se retrouvent des préoccupations comme la religion, l’amour et surtout le temps qui passe. Dans une sorte de cave (et le théâtre Essaïon, en l’occurrence, est le lieu idéal) un vieil hurluberlu nommé Krapp rentre chez lui. L’orage gronde. L’homme renverse des objets, répare quelques bricoles et, enfin, …arrive à donner la lumière. Il faudrait s’arrêter sur le jeu de Jean Pétrement, son allure dépenaillée, sa gestuelle inspirée, proche du mime, ce monde qu’il fait surgir rien qu’en escaladant un bureau. Krapp est un spécimen d’humanité ; comme on en rencontre tant chez Beckett. Il est à sa juste place, c’est une sorte de clochard qui prête à rire …et à penser. Mais qui, pour le moment, mange des bananes avec une gloutonnerie simiesque. De regards éberlués en bafouillements, on passe enfin au plat de résistance, le magnéto. Il est ancien, enfin année soixante. Il utilise des bandes magnétiques sur lesquelles le vieil homme, année après année, a enregistré des moments de sa vie qu’il se repasse… à satiété. Il y évoque sa vie physique (problèmes digestifs,) des épisodes de sa vie amoureuse, ainsi que sa mère qui meurt. Dans ce spectacle où le sonore a la part belle, on pourrait déplorer, peut-être, que le son en soit trop « pur ». Que ce ne soit pas le vieux son « pourri » du magnétophone authentique. De même, il arrive à l’interprète de (sur)jouer l’étonnement où la colère. Plus de sobriété n’aurait nui en rien à la magie de la chose. Il reste, bien sûr, la force de la situation. Les mots de Beckett, basiques pour le personnage actuel et frôlant le lyrique pour le même quand il avait vingt ou trente ans de moins. Ces moments restitués et revécus parlent à chacun de nous. Au lieu de ne faire qu’y penser, Krapp a la « chance » de s’entendre les raconter. Il peut au gré de sa fantaisie, revenir en arrière, aller plus vite, écouter plusieurs fois le même passage. Il peut s’enregistrer, aussi, ce qu’il ne se prive pas de faire : bouillie aigrie, elle ne l’intéresse que modérément. Il préfèrera se replonger dans ce moment magique où il faisait de la barque avec son amie, où elle lui parlait sans ouvrir les yeux, où il caressait son corps. Moment unique, figé pour l’éternité. Au final, dans cette pièce courte (écrite, sauf erreur, pour la radio) Beckett transcende ses vieux thèmes d’inspiration. Et l’interprète, Jean Pétrement, dans une mise en scène sobre, le sert avec brio, jouant de sa voix, de son physique dégingandé et de sa conviction pour incarner ce vieillard halluciné.
Gérard NOEL
La dernière bande Spectacle avec Jean Pétrement.
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