LA CERISAIE
Théâtre du Soleil
Cartoucherie de Vincennes
route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Tel : 01 43 74 24 08
Jusqu’au 14 février 2016
mercredi au vendredi à 20h30
les samedis et dimanches à 16h00
Voici le quatrième opus du projet que Christian Benedetti a commencé il y a cinq ans : monter tout Tchekhov.
La Cerisaie, dernière pièce que Tchekhov a vue jouée de son vivant, en 1904. Il meurt six mois après la création au Théâtre d’Art de Moscou.
Benedetti monte Tchekhov avec un principe de vitalité, une exigence de rythme, un respect du texte, une volonté d’extraire le comique de ces personnages, de ces situations, une défiance totale vis-à-vis du réalisme et pourtant une passion totale pour la sincérité de l’instant. Mais aucune des quatre pièces n’est moulinée par ces principes. Chacune brille d’un éclat différent, bien la preuve que Tchekhov ne peut pas se réduire à une musique nostalgique mais que chacun de ses textes parle différemment, dit autre chose, que le précédent
La Cerisaie mise en scène par Benedetti et jouée par sa troupe de comédiens est plongée dans une angoisse omniprésente. Dès les premières minutes, le heurt s’installe entre la vivacité, l’impatience, l’attente nerveuse des personnages et ce silence, qui tout à coup arrête tout. Une menace sans visage et sans nom qui s’empare de tous, public compris, épiant dans l’épaisseur de l’air le moindre signe de quelque chose, d’un danger, d’une menace.
Jamais autant que dans cette mise en scène, on n’avait pu comprendre à quel point La Cerisaie est une œuvre qui parle de la fin d’un monde et de la venue d’un autre ordre.
Tous les personnages de cette histoire sont tenaillés par la sensation que tout est vain, que tout est fichu, fini, passé, rien à espérer. Et pourtant, avec un courage presque divin, ils continuent de vouloir, d’exiger, d’espérer conserver ne serait-ce qu’en mots, qu’en apparence, un maigre éclat des splendeurs passées.
Mais ce n’est pas, ici, traité en nostalgie mais en désir, un désir vital, sans lui, nulle vie.
Et pourtant tout leur échappe. Ils ressemblent à ces personnages de Dostoïevski qui se mettent à courir dans un but, traverser la ville, marcher comme des illuminés, comme si leurs vies dépendaient de leur vitesse et qui soudain, au détour d’une rue ou d’une pensée, s’arrêtent et oublient ce vers quoi ils couraient.
Ici, les personnages se parlent, se promettent, s’avertissent, mais les mots ne se transforment pas en actes comme s’ils avaient tous peur de changer quoique ce soit à ce qui existe et à eux-mêmes.
Dans cette sorte de bal de fin du monde, seuls les cyniques et les marchands s’en sortent. Ils vont dévorer les restes et les transformer en or.
Sur le plateau, débordant du plateau, impliquant le public, les douze acteurs produisent une énergie et une maîtrise qui emportent de la première à la dernière minute. Ils sont une assemblée humaine. Les caractères de chacun forgeant les caractères de leurs personnages. Tous très différents, tous à la fois porteur de l’histoire qu’ils jouent et porteurs du discours qu’ils clament. Un style de jeu qui se moque des costumes, des incarnations mais permet à ce théâtre de dire dans le même temps : tout cela n’est pas vrai/tout cela est vrai.
Je crois que, nulle part ailleurs au monde, on puisse voir une cerisaie comme celle-ci, qui tout à la fois fleurit stérilement dans un ciel de givre et saigne en silence sous les dents des tronçonneuses.
Bruno Fougniès
La Cerisaie
D’Anton Pavlovitch Tchekhov
Mise en scène Christian Benedetti
Assistante à la mise en scène Laure Grisinger
Lumière Dominique Fortin
Régie générale Cyril Chardonnet
Couture et finitions Olivia Ledoux
Machinerie Antonio Rodriguez Gravure sur bois et réalisation du chien Eric Den Hartog Sons Wilfried Wendling
Avec
Brigitte Barilley – Alix Riemer – Hélène Vivies – Philippe Crubézy – Christian Benedetti – Antoine Amblard – Philippe Lebas – Lise Quet – Nicolas Buchoux – Hélène Stadnicki – Jean-Pierre Moulin – Christophe Carotenuto
Avec la voix de Jenny Bellay
Mis en ligne le 27 janvier 2016