LA CANTATRICE CHAUVE

Aktéon Théâtre
11, rue du Général Blaise
75011 Paris
01 43 38 74 62

Jusqu'au 22 novembre 2014
Les vendredis et samedis à 20h00

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Mis en ligne le 14 octobre 2014

Tout le monde sait que lorsqu'on entend sonner à la porte, c'est qu'il n'y a jamais personne et que les pendules indiquent toujours le contraire de l'heure qu'il est, phrases cultes d'une pièce culte d'Eugène Ionesco, La Cantatrice Chauve, qui doit d'ailleurs son titre à un lapsus d'un des comédiens

Le sujet de la pièce : un couple (anglais) qui n'a plus rien à se dire après plusieurs années de mariage, passe la soirée avec un autre couple (anglais) dont le mari et la femme ne se reconnaissent pas, tant ils sont devenus étrangers l'un à l'autre.

Première pièce de l'auteur, La Cantatrice chauve caricature et tourne en dérision la bourgeoisie anglaise, tout en dénonçant les problèmes inhérents à la langue dans une société où la communication est brouillée et sa charge de sens annihilée.

Anti-pièce, dénuée de logique et d'intrigue, elle place l'absurde au cœur de la pièce et parodie le théâtre classique en ridiculisant le réalisme du vaudeville.

Écrite en 1950, elle est jouée depuis 1957 au Théâtre de la Huchette, dans la mise en scène d'origine de Nicolas Bataille, très fidèle aux didascalies de l'auteur.

D'autres metteurs en scène ont, depuis, livré leurs versions, plus ou moins heureuses.

Ainsi Jean-Luc Lagarce qui, en 1991, traduit l'absurde ionescien par le biais de l'univers télévisuel ; Jean-Claude Berutti, en 2004, dont les personnages portent des masques en plâtre et évoluent sur une scène de ring, ou encore Daniel Benoin, en 2008, qui modernise et actualise la pièce.

Actuellement, et jusqu'au 22 novembre, sept comédiennes et comédiens pleins d'entrain nous offrent une Cantatrice dépoussiérée. « Nous l'avons secouée, trempée, récurée, rincée, essorée. Elle est comme neuve. », confie Judith Andrès, metteuse en scène mais également décoratrice, costumière et comédienne.

Sous la houlette de cette équipe dynamique, la pièce prend un sacré coup de jeune.

Il faut dire que les membres de cette petite troupe sont jeunes, tout juste sortis du Cours Florent. La Cantatrice Chauve est leur première réalisation professionnelle.

Jouant énormément de leurs corps, ils font ressortir, par leurs gestes saccadés, leur démarche d'automate, leurs mouvements symétriques, le caractère fantoche de leurs personnages.

Reprenant plusieurs fois un même passage, ils insistent sur le comique de répétition utilisé par Ionesco, soulignant, par là-même, la circularité de la pièce qui recommence à l'infini. Ainsi, à la fin, les Martin reprennent le rôle initial des Smith, une façon, pour l'auteur, de mettre en évidence le néant des personnages puisqu'ils sont interchangeables.

Jouant également de leurs voix, les comédiens passent d'une tonalité monocorde au débit lent à des inflexions stridentes et accélérées.

Les propos des personnages, sans lien entre eux, répondent au principe du coq à l'âne et s'inspirent de la méthode Assimil que l'auteur parodie avec délectation.

Pris dans leur incommunicabilité, ils se saoulent de mots, sans se soucier de leur signification, jusqu'à la cacophonie finale où tous hurlent frénétiquement leurs répliques sur un rythme de plus en plus rapide, maniant à merveille cette langue en folie qui dénonce le caractère mécanique du langage.

Sacré coup de jeune, donc, et sacré dépoussiérage aussi mais, à trop dépoussiérer, on risque d'ôter la patine qui faisait le charme ou, pire, d'éroder la matière.

Pourquoi avoir ainsi supprimé certains passages ? Notamment le début de la première scène qui me semble primordial car il donne le ton et ancre l'action – ou plutôt la non-action – dans un lieu géographique d'une façon tellement savoureuse qu'il est vraiment dommage d'en avoir fait l'économie : Intérieur bourgeois anglais, avec des fauteuils anglais. Soirée anglaise. M. Smith, Anglais, dans son fauteuil et ses pantoufles anglais, fume sa pipe anglaise et lit un journal anglais, près d'un feu anglais. […] À côté de lui, dans un autre fauteuil anglais, Mme Smith, Anglaise, raccommode des chaussettes anglaises. Etc.

S'ensuit une série de propos futiles, saugrenus et incohérents donnant des informations sans intérêt. Or tout l'intérêt de ces propos, également supprimés, sont justement qu'ils sont sans intérêt, ce qui rend cette scène d'exposition, qui ne remplit donc pas son rôle informatif, totalement absurde et justifie le terme d'anti-pièce dont Ionesco qualifiait La Cantatrice Chauve.

Cela dit, soyons indulgents et ne boudons pas notre plaisir. La salle du « plus grand des petits théâtres » est comble, les spectateurs rient énormément et, déclare Judith Andrès, disent qu'ils redécouvrent absolument la pièce.

Et la Cantatrice Chauve, dans tout ça ? Eh bien, elle se coiffe toujours de la même façon.

Elishéva Zonabend

 

La Cantatrice Chauve

D'Eugène Ionesco

Mise en scène, décor, costumes : Judith Andrès

Avec : Judith Andrès, Florian Vaz, Sara Lo Voi, Martin Van Eeckhoudt, Jaicy Elliot, Jérémie Galiana et Luca Teodori

 

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