L'HISTOIRE D'AMOUR DU SIÈCLE
Théâtre des Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs
75001 Paris
01 42 36 00 50
Jusqu'au 2 novembre 2013
Jeudi Vendred iSamedi à 18h00
Beau, subtil, touchant, L'histoire d'amour du siècle de Märta Tikkanen est un texte important qui mérite incontestablement d'être entendu. Le théâtre est-il le lieu qu'il faut pour cette écoute ?
À priori, par son écriture, il n'y était pas destiné. Mais des choix artistiques intelligents ont permis à Emmanuelle Coutellier d'adapter efficacement sur scène ce qui était à l'origine soit un témoignage soit un poème, dans tous les cas le simple monologue du calvaire d'une femme devant un mari égoïste, alcoolique et violent.
Le sujet est intime, grave et difficile, il est à la fois consensuel et ingrat, de sorte qu'il aurait pu laisser les spectateurs indifférents ou ne les toucher qu'avec des artifices faciles.
Ce n'est pas le cas ici. Grâce à l'accompagnement musical, aux jeux de lumière, à l'écho instauré entre les deux comédiennes qui se relaient pour déclamer le texte avec deux attitudes sensiblement différentes – plus vulnérable pour Emmanuelle Coutellier, plus ironique pour Anne-Sophie Liban – , et à quelques autres idées tout aussi judicieuses (notamment cette scène où la difficulté de parler est trop forte), le face à face entre la souffrance racontée et le public fonctionne plutôt bien.
La frontière entre la fiction et la réalité s'efface assez vite. Les circonstances particulières du drame qui se joue (l'alcoolisme, la difficulté de créer, la volonté de protéger les enfants, la question du suicide) aussi. Seules restent les questions, ou plutôt les émotions, universelles. Peut-on lutter contre quelqu'un qui organise sa propre destruction ? Jusqu'où peut-on s'oublier soi-même, sacrifier ses propres envies pour mieux servir celles de l'être aimé ? Pire : peut-on prendre conscience du péril où l'on se trouve et ne pas choisir la fuite ?
Peut-être est-ce la mise en récit de sa colère qui a sauvé Märta Tikkanen. Il ne fait guère de doute qu'à sa place, beaucoup, des femmes aussi bien que des hommes, seraient partis. Elle-même semble ne pas s'expliquer clairement sa décision de rester, si ce n'est la solidité de l'amour qu'elle continue de porter à son bourreau. On pense alors à saint Paul : « L'amour pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. L'amour ne meurt jamais ».
Car, paradoxalement, même défiguré, c'est bien l'amour qui sort quand même vainqueur de cette épreuve infiniment douloureuse et sordide.
Frédéric Manzini
L'histoire d'amour du siècle
De Märta Tikkanen
Traduction Joan Debidour
Conception et mise en scène Emmanuelle Coutellier,
Avec Emmanuelle Coutellier, Anne-Sophie Liban, Hassiba Bendali (piano), Nikita Keltchewsky (guitare électrique).