L’AFFAIRE DE LA RUE DE LOURCINE
Théâtre 13, Côté Seine
30 rue du Chevaleret
75013 - Paris
01 45 88 62 22
Jusqu’au 15 février
Mardi, jeudi, samedi à 19h30, mercredi, vendredi à 20h30 et dimanche à 15h30
Crédit photo © Julie Rodenbour
Difficile de parler d’une comédie le jour où le rire est dans la ligne de mire des kalachnikovs. Pourtant, il faut continuer de rire de tout pour répliquer à la violence, pour éviter de tomber dans le dégoût, pour empêcher les cons, les décérébrés et les fanatiques de dominer le monde. Rire demande un minimum d’esprit, d’intelligence et de philosophie, que les tueurs n’ont pas. C’est pour cela qu’ils tueront tous ceux qui ont un peu d’esprit, d’intelligence et de philosophie. C’est pour ça qu’il faut rire de plus en plus fort pour continuer de donner du combustible au feu de la dérision et de la provocation qui brûlait à la rédaction de Charlie Hebdo.
La dérision et la provocation éclatent dans cette pièce de Labiche et dans la mise en scène qu’en a fait Yann Dacosta.
L’histoire racontée par Labiche est déjà très décapante pour l’image que voudraient avoir les bourgeois et, de façon plus générale, les humains, dans le miroir : Un homme riche du nom de Lenglumé se réveille un matin avec un homme inconnu dans son lit. La veille, il a trop bu, lors d’une soirée avec les anciens de sa promotion, et il ne se souvient de rien. L’autre non plus. Situation ambigüe et délicate, totalement vaudevillesque, surtout quand il s’agit d’affronter les regards et les soupçons de son domestique et de sa femme, mais situation qui s’assombrit soudain quand un article du journal leur donne à penser que tous les deux, Lenglumé et son camarade, Mistingue, sont responsables du crime d’une jeune femme commis la nuit précédente dans la rue de Lourcine où ils étaient, sans doute, sans aucun doute, peut-être, ils ne savent plus, ils étaient trop saouls.
Convaincus d’avoir commis ce crime, reconnus par un cousin de sa femme qui débarque et campe dans l’appartement, leurs réactions vont soudain révéler en quoi ces personnages aux apparences si correctes, si léchées, si sociales et bienpensantes sont de véritables scélérats, des crapules de la plus basse espèce, des assassins. Tout ça pour sauver leur peau. Tous deux devenant complice pour sitôt après tenter de s’étrangler l’un l’autre, de se noyer, pour faire disparaître le dernier témoin du forfait.
Raconté comme ça, on ne dirait pas une comédie, mais la fin et le brio de Labiche finit par tourner l’histoire à la farce.
Yann Dacosta a fait de cette pièce, une sorte de cabaret absurde, déjanté, extraverti.
Dans un décor signé Fabien Persil et William Defresne où à six portes latérales mènent sur la chambre de Lenglumé qui devient peu après salle à manger, puis patio où grenouille une fontaine après que d’avoir été piste de danse où s’étreignent les corps ivres. Fond de plateau : une scène sur laquelle sont juchés une violoniste, un guitariste, micros en bouche. Car ce spectacle est musical. Des musiques, des chansons surgissent au milieu des scènes, des passages de poursuites, de courses, de luttes sont présentés comme des chorégraphies. Parfois, le chanteur, Pablo Elcoq, accompagné de la violoniste Pauline Denize, pousse un couplet de sa voix caverneuse comme onde rock (il a aussi composé les musiques). Tout cela dans des lumières de Thierry Vareille faites de beaucoup de ponctuels qui varient passent par toute la gamme de couleur dans des tons très acidulés.
Mais c’est avant tout le jeu des acteurs qui apporte la dimension excentrique. Parfois clownesques, toujours forçant le trait, exagérant la moindre réaction, tous les interprètes ont créé là des personnages démesurés, absolument pas réalistes, chacun porteur des ses propres tics physiques, de sa gestuelle, de sa démarche. Les costumes de Morgane Mangard sont au diapason, empruntant un peu à toutes les époques, sauf pour les deux protagonistes principaux qui restent dans une sobriété chromatique presque datés.
À partir de la pièce de Labiche, Yann Dacosta et sa troupe ont réussi à créer une sorte de manège visuel un peu fou, un peu baroque, un vent de jeunesse où les comédiens vont juste un petit trop loin, ils vont jusqu’au bout de leurs choix, ce qui risque de déplaire aux puristes des vaudevilles. Mais je suis sûr que ce spectacle ne fera pas se retourner Labiche dans sa tombe, non, il le fera plutôt sortir de terre et danser la ronde sous les étoiles en riant.
Bruno Fougniès
Je suis Charlie
Crédit photo © Julie Rodenbour
L’affaire de la rue de Lourcine
Texte Eugène Labiche
Mise en scène Yann Dacosta
Assistante à la mise en scène Laëtitia Botella
Compositeur Pablo Elcoq
Costumes Morgane Mangard
Créateur Lumière Thierry Vareille
Scénographie/accessoires Fabien Persil et William Defresne
Créateur son Johan Allanic
Mise en danse Frédérique Unger
Avec
Jean-Pascal Abribat, Pierre Delmotte, Hélène Francisci, Benjamin Guillard, Guillaume Marquet
et les musiciens Pauline Denize et Pablo Elcoq
Mis en ligne le 9 janvier 2015