KEAN

Théâtre de l'Œuvre
55 rue de Clichy (3 Cité Monthiers)
75009 Paris    
01 44 53 88 88

Jusqu’au 30 juin 2019,
Pour 40 représentations.
Du mardi au samedi. Horaires variables.

 

Kean loupe Photo © Lot

Allons, voilà que cette pièce d'Alexandre Dumas revue par Jean-Paul Sartre reprend du service. On sait que Dumas l'écrivit pour Frédérick Lemaître, comme Sartre en fit l'adaptation pour ce monstre sacré qu'était Pierre Brasseur.  Jean-Claude Drouot et Jean-Paul Belmondo s'y sont aussi frottés.

La pièce, avec ses outrances et ses excès n'a pas (trop) pris de rides : elle met en scène et magnifie le fameux Kean, cet immense comédien (qui a vraiment existé !), fétard, paillard, grand ami du Prince de Galles... mais surtout roi du théâtre anglais en ce début du XIXème siècle.

Dire que la pièce est un peu cousue de fil blanc n'est pas lui faire injure : dès le début, entre discussions mondaines, fiel et mondanités, on sent qu'Elena, épouse de l'ambassadeur du Danemark, n'est pas insensible au charme de Kean, ce séducteur. Question : où succombera-t-elle et comment ? Et d'abord, succombera-t-elle ? La situation se complique quand une jeune ingénue qui rêve de faire du théâtre, Anna Damby (fille de fromager) vient s'en ouvrir à Kean. Elle veut réussir, elle le veut comme conseiller voire prof' de théâtre, elle veut, elle veut...

Entre ses dettes, ses problèmes personnels, ses deux amours à ménager, Kean ne va pas forcément être à la fête : on le verra mentir, ruser, jouer (comme il sait si bien le faire). La pièce culminera quand il donnera la représentation du dernier acte d'Othello... en compagnie de l'oie blanche, la chère Anna qui fait ses premiers pas sur scène de façon plutôt... discutable.

Bien sûr (est-ce du Sartre ou du Dumas ?) il y a des flèches toutes wildiennes. Des bonheurs d'expression. Des lettres et des retournements de situation (là, c'est du Dumas !) et surtout un formidable plaidoyer et une réflexion sur le métier de comédien : qu'est-ce que jouer ? Est-ce qu'un comédien existe encore hors de scène, quand il n'est plus ni Roméo, ni Shylock, ni Hamlet ? That is the question.

La mise en scène d'Alain Sachs, avec ses changements de décor "à vue" est nette et inspirée. Qui pouvait-on mieux imaginer que Sophie Bouilloux en Elena ? Avec son maintien digne, ses roucoulements, ses mines et cette douleur rentrée qu'elle fait exister, elle fascine. L'autre amour de Kean est jouée par Justine Thibaudat. Très douée. Elle donne au personnage ses élans de petite fille et sa séduction naissante de femme. Bien sûr, c'est l'interprète de Kean qui se taille la part du lion : entre  voyou et grand seigneur, fort en gueule capable d'une étrange douceur, Alexis Desseaux EST Kean. Il joue à plein toutes les situations, atteignant son sommet, bien sûr, dans les "cours" qu'il peut donner à Anna et surtout la scène où il campe un Othello hagard, improvisant par force, face à l'attitude hautaine du Prince de Galles, de l'ambassadeur du Danemark et de son épouse Elena.

La fin, quand il perd pied, doute de lui et de son art, qu'il semble prêt à tout quitter est aussi bien amenée et menée.

Un spectacle théâtral dans le meilleur sens du mot, un spectacle qui passionne et émeut.

Une reprise qui se justifiait. .

Gérard Noël

 

Kean

D'Alexandre Dumas. Adaptation : Jean-Paul Sartre
Mise en scène : Alain Sachs

Avec : Pierre Benoist, Sophie Bouilloux, Alexis Desseaux, Jacques Fontanel, Frédéric Gorny, Eve Herszfeld, Justine Thibaudat, Stéphane Titeca

Décor : Sophie Jacob
Costumes : Pacal Bordet assistée de Solenne Laffitte
Lumières : Muriel Sachs
Musique : Frédéric Boulard

 

Mis en ligne le 11 mai 2019