KADDISH POUR L'ENFANT QUI NE NAÎTRA PAS

Théâtre de Œuvre
55, rue de Clichy
75009 PARIS
Tél : 01 44 53 88 88

Jusqu'au 8 juin
Du mardi au samedi à 19h00
Dimanche à 17h00

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Quelques invitations disponibles
les 27, 28 et 29 mai

Les demander à contact@regarts.org

Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas

Si le mot spectacle est souvent synonyme de divertissement, il peut aussi amener le public à la réflexion, éveiller des réactions.

Indéniablement, Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas est de ceux-là.

Rappelons d’abord que le kaddish est la prière des morts de la religion juive.

L’œuvre, ici, est un long monologue, une logorrhée dense et implacable, un soliloque difficile et exigeant, un texte de l’écrivain hongrois Imre Kertész, prix Nobel de littérature en 2002, qui marque autant par le fond que par la forme.

Survivant de l’holocauste, le narrateur se  refuse de survivre dans sa descendance, qu’elle soit « fillette aux yeux bruns, le nez couvert de pâles taches de rousseur » ou « garçon têtu avec des yeux joyeux et durs comme des cailloux gris-bleu ». Quel futur imaginer en effet après l’horreur absolue ? À Auschwitz ont  disparu confiance en l’avenir et envie de vivre. Seuls les mots peuvent l’aider. Alors il parle, il parle.

Un texte douloureux, aux phrases longues entrecoupées de nombreuses digressions au fil des souvenirs. C’est comme un torrent de lave qui coule, se perd, revient, d’une puissance extrême, le témoignage poignant d’un être détruit. On est entraîné dans un labyrinthe tortueux au fil des méandres de la pensée. Répétitions, juxtapositions d’idées, tout semble écrit d’un bloc, et on se laisse porter, engloutir par cette vague de mots où pointent parfois des notes d’un humour désespéré.

Avec quelques lueurs d’espoir. « Ce qui est réellement irrationnel et qui n'a vraiment pas d'explication, ce n'est pas le mal, au contraire : c'est le bien. » nous dit-il dans le très bel épisode de l’instituteur.

C’est un récit, une lecture, du théâtre.

Il fallait pour donner tout son relief à un texte si remarquable, un acteur  aussi exceptionnel que Jean-Quentin Châtelain, avec sa stature imposante et son phrasé si particulier, ses ruptures de ton, sa musicalité, sa façon de mâcher les mots, les sucer, les savourer avant de les lancer à un public tétanisé. La voix nous berce, puis soudain monte, explose, gronde pour retomber, apaisée, parfois cri parfois plainte. Un chant funèbre et fantastique, simple et délirant.

Seul sur la scène, avec uniquement une table, une chaise et une lampe, il occupe l’espace avec un art consommé du geste et du mouvement, que guide parfaitement la mise en scène d’une sobriété exemplaire de Joël Jouanneau, magnifiée par les jeux de lumière de Franck Thévenon qui jouent parfois avec son ombre.

C’est un spectacle certes pas facile mais qui peut emmener loin à condition de se laisser emporter. Une grande claque littéraire et théâtrale.

« Parfois, comme une martre pelée qui aurait survécu à la grande extermination, je traverse encore la ville. À certains bruits, certaines images, je dresse l'oreille comme si mes sens engourdis et encroûtés étaient agressés par l'odeur des bribes de souvenirs. À côté de certaines maisons, à certains coins de rue, je m'arrête, terrifié, les narines dilatées, je scrute les alentours d'un œil effrayé, je veux m'enfuir mais quelque chose me retient. Sous mes pieds bouillonnent les égouts, comme si le torrent sale de mes souvenirs voulait sortir de son lit pour m'engloutir. Qu'il en soit ainsi ; je suis prêt. Dans un dernier grand résumé j'ai montré ma vie faillible, opiniâtre – je l'ai montrée pour ensuite, portant le baluchon de cette vie dans mes deux mains tendues, m'en aller et, comme dans l'eau noire et tempétueuse d'un torrent, sombrer. Mon Dieu !faites que je sombre pour l'éternité. Amen. »

Nicole Bourbon


Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas 

De Imre Kertész
Adaptation et mise en scène Joël Jouanneau

Avec Jean-Quentin Châtelain

Décors Jacques Gabel
Lumières Franck Thévenon