JEAN ET BÉATRICE |
À La Folie théâtre
Critique de Nicole Bourbon
Un drôle de jeu Béatrice, une riche héritière qui s'ennuie, offre une récompense substantielle à qui saura l'intéresser, l'émouvoir, la séduire. Se présente alors Jean, un chasseur de primes, bien décidé à remporter les trois épreuves et toucher le magot. Sur ce thème, les deux protagonistes vont s'affronter pendant 1 heure 20, sans aucun temps mort dans un huis clos haletant. Seront évoqués la confusion des sentiments, la solitude, l'amour, la séduction, les émotions les plus diverses, mensonges, peur d'aimer, hallucinations, dans une superbe langue poétique et musicale qui n'exclut pas une certaine noirceur. On se laisse porter par ce duel sans pitié, emporté par des répliques qui font mouche et déclenchent souvent le rire des spectateurs ou l'émotion et par le jeu parfait des acteurs, Frédéric Gray et Valérie Parisot, prenant et surprenant. Ils prêtent leur sensibilité et leur sincérité à ces personnages hors du temps. Elle toute en intensité, détresse, fougue, tendue et attendrissante dans sa quête éperdue d'amour, incarne avec force une Béatrice intemporelle dont on ne sait si elle est mythomane, folle ou perverse. Lui, tendre et bourru, mystérieux, apparemment uniquement guidé par l'appât du gain mais ne cachant pas toujours ses failles face aux torrents de mots qu'elle déverse, incarne un Jean moins brutal et plus sensible, plus subtil, qu'on ne l'imagine habituellement. C'est toute la force de la mise en scène d'Hélène Lebarbier, qui laisse toute sa place au texte poétique, fort et sensible à la fois, doublée d'une direction d'acteurs très maîtrisée. Les scènes se succèdent, drôles ou émouvantes, tour à tour brutales ou empreintes de sentiments ambigus, suscitant un questionnement du spectateur : est-ce un jeu amoureux ? Un rêve ? Les fantasmes d'un esprit au bord de la folie ? Qui sont réellement ces personnages ? L'auteur, Carole Fréchette, canadienne, présente ce soir-là dans la salle, qui avait reçu en 2002 à Avignon, le prix de la francophonie décerné par la SACD, s'est avouée touchée par cette lecture de son œuvre. Elle a parfaitement su exprimer ce moment où les personnages échappent à leur auteur, prennent leur envol, au moment de l'écriture même puis lorsque les metteurs en scène s'en emparent, donnant à leur tour un autre sens à l'œuvre. En répondant aux nombreuses questions des spectateurs, elle les a un peu éclairés sur ce mystérieux processus de création, ouvrant large le champ des interprétations. C'est toute la force, la vitalité et l'intérêt du spectacle vivant que l'on a pu toucher du doigt ce soir-là, grâce aux talents conjugués d'un auteur, d'une metteuse en scène et de ses interprètes. Qu'ils en soient ici tous remerciés.
Critique de Jean-Michel Beugnet Quand on entre dans la salle, Béatrice est déjà là à attendre. De dos, longs cheveux, robe et talons aiguille noirs. Elle est plutôt lascive et écoute la radio. Une femme fatale ? Un fond sonore de gouttes d'eau, des gobelets en plastique, des tas de pommes et un gros fauteuil en plein centre… Quelque chose cloche. On commence déjà à s'interroger. Noir salle… On frappe à la porte. C'est un homme, Jean, qui entre. Il est chasseur de primes professionnel et vient en réponse à une annonce de Béatrice. Elle promet une récompense substantielle à celui qui saura l'intéresser, l'émouvoir et la séduire. Est-ce que c'est l'amour qu'elle cherche ? Au fur et à mesure de ce dialogue à huis clos, on comprend que l'un et l'autre, chacun de leur côté, sont seuls. Une première partie pose les personnages, nous donne des indications et nous entraîne aussi sur de fausses pistes. Puis les masques tombent et on commence à comprendre qu'ils ne sont finalement pas aussi loin l'un de l'autre que l'entrée en matière le laissait supposer. En rassemblant leurs solitudes, leurs angoisses ou leurs égoïsmes, ils vont tenter le jeu de l'amour et du hasard. La confrontation de ces deux là nous parle… forcément. Ces questions, on se les est tous posées. La femme n'est-elle qu'une éternelle sentimentale ? L'homme un être égoïste et intéressé ? Les deux comédiens, Valérie Parisot et Frédéric Gray, proposent une interprétation tout en finesse. Une Béatrice tour à tour fatale, allumée, fragile et torturée, et un Jean plus en pastel, touchant, paumé mais résolu. Le jeu est bien rodé et l'accord presque parfait. Tellement bien rodé que le spectateur que j'étais aurait juste eu besoin d'avantage de respiration sur quelques moments clefs… Autour d'une mise en scène suffisamment sobre pour se faire oublier, ce texte de Carole Fréchette met en avant l'une des composantes dramaturgiques du théâtre : la catharsis… ou plus simplement dit le fait de pourvoir s'identifier aux problématiques des personnages. C'est fait !
« Jean et Béatrice » de Carole Fréchette Avec Valérie Parisot et Frédéric Gray
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