J’AI BIEN FAIT ?
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie
Rte du Champ-de-Manœuvre
75012 Paris
01 43 28 36 36
Jusqu’au 16 décembre 2018
du mardi au samedi 20 h 30
dimanche 16 h 30
Pauline Sales écrit et met en scène des ruines d’idéaux incarnées par des personnages symboliques dont les vies sont à moitié écroulées. L’esprit, la culture, la soif de transmission sont réduits à mal dans cet état des lieux des consciences de cette classe sociale cultivée qui perd ses certitudes et ses repères
En jeu, une prof de lettre, Valentine, personnage réaliste qu’interprète la très fine Hélène Viviès, percutée par la révélation de la vanité de ses engagements dans l’éducation et par le vide de sa vie privée. Une vie qu’elle partage avec son époux, Sven, scientifique en génétique, toujours ailleurs, cherchant dans les génomes humains, de la préhistoire à notre ère, ce qui nous fait semblables, ce qui nous rapproche, nous lie, au plus profond de nos êtres. Une vie qu’elle ne partage plus depuis longtemps avec ce frère presque étranger, Paul, chez qui elle se réfugie pourtant au début de la pièce. Paul, plasticien quarantenaire au succès déjà passé, qui vivote dans son atelier de la banlieue nord et y entasse ses œuvres.
Ce sont là les trois figures de la culture en mal-être : l’éducation, la science, l’art. Mais aussi une famille dont les liens sont totalement effrités. Inexistantes. Face à eux, une jeune femme, prénommée Manhattan, garçonne, ancienne élève de Valentine, au brillant potentiel de Valentine, devenue rien, vivotant en faisant des ménages malgré une culture profonde et l’intelligence qui va avec. Bref l’incarnation de l’échec pour cette professeure.
Pauline Sales commence sa pièce comme une comédie classique, une intrigue qui se pose, des retrouvailles acides entre cette sœur et ce frère, mais très vite, l’intrigue se déplace et le texte s’attache à exposer les personnages dans une sorte de dépouillement successif des apparences jusqu’à la nudité des sentiments. En longs monologues, adresses publiques où s’insèrent des paroles intérieures comme une volonté absolue d’explication, de justification, entrecoupées de scènes conflictuelles entre les personnages, tentatives de renouer un dialogue interrompu depuis longtemps, l’histoire avance par petits dévoilements, des incertitudes, des doutes, des culpabilités. Le tout forme un bilan sensible mais cruellement réaliste de l’impasse où l’héritage culturel se sent piégé.
Coupables d’un état du monde que la jeunesse leur reproche tout en leur refusant le droit de leur enseigner ce qu’ils connaissent, ce sont trois destins échoués au bord d’un fleuve furieux, des bouches faces à des oreilles fermées.
Les quatre comédiens parviennent à donner à leurs personnages, pourtant stéréotypés à l’origine, des caractères attachants et tiennent en haleine le public sur de longues parties solos. Un joli travail de création de rôles entre lesquels les énergies circulent très bien. La scénographie est intéressante dans son côté plastic modulable : un immense amas de polochons en guise de matériaux de création qui deviendra in fine, œuvre contemporaine. On navigue ainsi dans une atmosphère ni dramatique, ni comique, un entre-deux qui réussit à faire oublier le côté statique de l’action pour ébaucher une réflexion sur les murs existant entre générations et la difficulté du partage du savoir.
Reste, à la fin, l’image d’espoir, un peu naïve, de l’envol soudain de Manhattan vers son destin, comme une jeunesse qui reprend les rênes du monde en main.
Bruno Fougnies
J’ai bien fait ?
Texte et mise en scène Pauline Sales
Scénographie Marc Lainé, Stéphan Zimmerli
Costumes Malika Maçon
Lumières Mickaël Pruneau
Musique Fred Bühl
Avec Gauthier Baillot, Olivia Chatain, Anthony Poupard, Hélène Viviès
Mis en ligne le 20 novembre 2018