IVANOV
Odéon – Théâtre de l'Europe
Place de l'Odéon
75006 Paris
01 44 85 40 40
Jusqu’au 1er novembre 2015
Du mardi au samedi à 20h00
Dimanche 15h00
Voici donc pour un mois la reprise (seul Yves Jacques ayant remplacé Marcel Bozonnet dans le rôle de Lebedev) de cet Ivanov qui avait tellement séduit aussi bien la critique que le public parisien au début de l’année. Il faut dire qu’il a tout pour lui : une distribution de grande qualité, une scénographie belle et racée, une mise en scène qui dispute l’équilibre à la finesse.
C’est une pièce sur l’indécision existentielle qui accable Ivanov, cet homme ni jeune ni vieux mais déjà fatigué de vivre, las des autres et surtout de lui-même, un être en sursis, qui dit de lui qu’il est un nouveau Hamlet. Cet esprit torturé, objet des médisances, centré sur son rapport au monde comme pour contrecarrer l’impossibilité de l’habiter et de s’y ancrer véritablement, nourrit l’impuissance et l’inaction. Centre vide de la pièce, il ne peut diffuser son « ennui » qu’en le contaminant à son entourage. Première touchée, une épouse aimante, totalement dévouée et abandonnée, sera victime de l’indifférence d’un Ivanov qui ne peut rien donner que sa torpeur, et tente de se distraire dans des soirées pendant que sa femme l’attend. Est-il égoïste, cynique, nihiliste, ou seulement faible ? Est-il seulement capable d’agir et d’aimer à nouveau ? Comment s’acquitter des dettes qui s’accumulent comme autant de rappels de ses échecs ? Faut-il continuer à vivre ou mourir ?
Les décors de Richard Peduzzi, d’une élégance remarquable, figurent cet entre-deux permanent dans lequel ne se débat même plus Ivanov, mais erre comme une âme en peine qui se méprise et se noie : des salons bourgeois côtoient des structures industrielles, des intérieurs se prolongent en extérieurs tandis que la salle de bal est délimitée par les manteaux des vestiaires. Entre ces différents panneaux, Micha Lescot promène sur la scène sa filiforme silhouette, semblable à une sculpture de Giacometti, et montre physiquement la difficulté d’être soi quand il prend son visage entre ses mains pour chercher à la fois de l’apaisement à son ennui et des justifications à son sentiment de culpabilité. Il est aussi sombre que Marina Hands en Anna Petrovna, est lumineuse. Même si c’est elle que la tuberculose condamne, et même si c’est sa voix à elle qui est éraillée comme son amour est blessé – mais vivant ! –, ne nous y trompons pas : c’est lui le véritable malade de cette tragédie annoncée, le premier succès de Tchékhov mais qui contient déjà toute une dramaturgie qui ne cessera jamais d’être au plus près de la condition humaine.
Frédéric Manzini
Ivanov
D’Anton Tchekhov
Mise en scène : Luc Bondy
Décor : Richard Peduzzi
Costume : Moidele Bickel
Avec : Christiane Cohendy (Zinaïda Savichna), Victoire Du Bois (Sacha), Ariel Garcia Valdès (Chabelski), Laurent Grévill (Borkine), Marina Hands (Anna Petrovna), Yves Jacques (Lebedev), Yannik Landrein (Lvov), Roch Leibovici (Doudkine), Micha Lescot (Ivanov), Chantal Neuwirth (Advotia Nazarovna), Nicolas Peduzzi (Iegorouchka), Dimitri Radochévitch (Gavrila), Fred Ulysse (Kossykh), Marie Vialle (Babakina)
Mis en ligne le 4 octobre 2015