Théâtre de l'Epée de Bois
La Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre
75012 PARIS

Jusqu’au 30 novembre à 20h30, le dimanche à 16 heures.

Deux axes tracent le schéma de la mise en scène de Daniel Mesguich.

Un axe essentiellement charnel plus que moral ou spirituel. La folie ainsi que le masque de la folie sont représentés ici physiquement par des dédoublements, une projection, une incarnation de la part malade des personnages vers l’extérieur. La part de folie, de désir, de rêve surgit des corps sous la forme de doubles expressifs. La folie d’Hamlet figurée par une frêle jeune comédienne au corps d’adolescent, la folie d’Ophélie par la sensualité d’une autre comédienne comme l’expression du cri de sa nature…

L’autre axe de réflexion fait partie de la substance même de la pièce : à force de faire de la vie un théâtre… où est la vie, la vraie ? Quel sens lui trouver ?

En cela, la pièce décline ce questionnement de l’homme, de l’origine jusqu’à la finalité. De la naissance, fruit de l’étreinte, du désir de volupté, du sexe de la femme, jusqu’à après la mort en banquet pour asticots et le crâne vidé de son être, en passant par l’idée même de l’anéantissement de cette vie, du suicide. Chaque étape de cette interrogation peut se résumer comme futilité. Futilité du désir, futilité de l’orgueil, et pour finir, futilité de la mort donnée et reçue par accident comme c’est le cas en scène finale de la tragédie, où celle-ci dévaste tout, dans une suite de circonstances et de péripéties dignes d’une comédie absurde.

L’existence est un jeu, où tous tiennent un rôle, mais qui, ou plutôt, quelles sont ces forces qui donnent à chacun son rôle ?

Hamlet est celui qui n’a pas de rôle, qui n’en a plus, qui ne sait plus qui il est puisque sa voie tracée, l’héritage du royaume, s’est effacée avec la mort de son père et le remariage de sa mère. Il est suspendu dans le présent. Indécis. Indéfini. Il est ici l’objet de la grande farce des valeurs morales et la marionnette des lois de l’honneur et du devoir que lui dicte l’apparition du spectre de son père que Daniel Mesguich traite ici plus une vision intérieure, obsessionnelle. Hamlet est traqué, harcelé par cette voix, cette mission, cette idée. Il est le jouet.

Et il résiste à tenir ce rôle.

Tout cela est clairement mis en évidence par la mise en scène de Daniel Mesguich, avec les choix radicaux dont il s’est fait une signature. En grand, en immense : Tout est théâtre ! mais aussi et surtout, comme un ver qui creuse inlassablement l’histoire et les personnages, tout est quête de vérité, d’authenticité, de ce repos que l’on rêve de prendre en appuyant son dos sur un arbre solide, et fermer les yeux un bref instant, en étant sûr que le monde existera toujours tel qu’il est à son réveil.

Sur scène, habits contemporains et visions fantaisistes d’époque, lambeaux de faste qui mêlent réel et costumes historiques de scène. Nous sommes dans cet intemporel qui prend à bras le corps le présent, le passé, le lointain et le proche.

Il y a dans ce spectacle un art subtil du « débrouillez-vous, vous êtes grands, vous, les spectateurs !» qui ne fait pas primer la cohérence académique (temps, lieux, réalisme) mais l’invention, l’envie, la vision. Quitte à paraître contradictoire par instant. Paraître. À nous de prendre ces éclats de verres pour construire notre miroir.

Les changements décors se font pour la plupart à vue, dans une pénombre bleutée. Ils sont alertes, sans pesanteur et renforcent ce parti pris de Théâtre.

Quand aux acteurs, assez souples et talentueux pour se couvrir chacun de la peau de plusieurs personnages, ils sont tous hauts et lumineux. Je ne les cite pas, hormis Anne de Broca dont le sang est fait du fluide qui donne vie au métier même de comédienne, (et qui, il y a peu de temps m’avait doucement fait couler des larmes sur une simple réplique d’Iphigénie) et aussi William Mesguich qui est un Hamlet d’une énergie intarissable, le plateau est sa maison, capable aussi bien de déclamer ses tirades en pur tragédien, presque excessif dans ces moments de vibrato, comme de basculer dans la simplicité la plus moderne.  

Pour finir, une très belle scénographie, des lumières vivantes, une traduction riche, qui ne cherche pas à être moderne à tout prix, mais joue sur les deux tableaux et n’hésite pas à employer du verbe ancien par amour de la langue et de sa force.

Et aussi, une très belle façon de créer des images, de chorégraphier des scènes entières qui donnent à ce spectacle l’allure d’un rêve où l’impossible n’existe pas.

Bruno Fougniès

Hamlet

De William Shakespeare
Mise en scène : Daniel Mesguich
Traduction et adaptation : Daniel Mesguich (texte publié chez Albin Michel)
Assistante mise en scène : Sarah Gabrielle

Avec :
William Mesguich, Anne de Broca, Philippe Maymat, Sarah Gabrielle, Zbigniew Horoks, Rebecca Stella, Yan Richard, Éric Bergeonneau, Marie Frémont, Florent Ferrier, Tristan Willmott