SACHA GUITRY, SOUS LE CHARME |
Théâtre de Nesle Il n’est pas démarche plus malaisée que de chroniquer une Première sans tomber dans un excès quelconque, flagornerie élastique ou mise à mort jouissive. En outre, c’est LE soir où les appréhensions, fondées ou non, sont exacerbées : les comédiens redoutent le trou de mémoire, la faute de texte, et le public l’ennui ou la déception. Le but est autre : encourager la création théâtrale et sa diffusion. À l’heure où les spectacles pullulent dans les petites salles parisiennes, souvent avec peu de moyens, des artistes inconnus et, de ce fait, dans une compétitivité sans concessions, Albert Willemetz a relevé le défi, pour quelques dates seulement, de nous faire partager son intimité. En effet, il s’avère être, héritage brillant, le petit-fils de l’homme qui fut le meilleur ami de Sacha Guitry (rien que ça !) mais aussi l’un des plus grands compositeurs d’opérettes de la première moitié du XXe siècle. Ici, il nous offre un florilège d’extraits de pièces, dans lequel se croisent « Quadrille », la scène d’ouverture de « Tôa », le sulfureux échange psychanalytique issu de « Une folie », parmi d’autres… « Sacha Guitry/Les Femmes/L’amour », véritable marque de fabrique, presque un concept, au même titre que « Molière/Les soubrettes impétueuses » ou encore « Feydeau/Les portes qui claquent », ne vieillit pas. Thèmes intemporels, universels et invariables, portés par un texte souvent considéré comme élitiste, « parisien » et habitué à être joué dans de confortables salles aux larges fauteuils rouges, ils sont à cette occasion transposés au sein du petit théâtre de Nesle, proposant un contraste intéressant entre le style des caves moyenâgeuses du Quartier latin et le mobilier bourgeois qui parsème la scène. L’atmosphère n’en est que plus « cosy », intimiste, et laisse au texte toute la force de sa résonnance initiale. En termes d’interprétation, il faut saluer la classe et le flegme d’Albert Willemetz, qui lui donnent une prestance tout à fait britannique que n’aurait pas désavoué Guitry lui-même car il apporte une touche de second degré propre aux comédiens anglo-saxons. La jeune Anaïs-Jane Briand, superbe jeune femme qui surpasse en beauté plastique toutes les épouses de feu Guitry, gagnerait à approfondir un jeu davantage nuancé dans l’expression de ses émotions, afin de ne pas risquer de tomber dans le cliché facile du personnage de la Ravissante Idiote. Ce serait dommage. Michèle Werner, pour finir, recèle un potentiel comique décalé qui n’est pas sans rappeler des comédiennes chères à Guitry : Jeanne Fusier-Gir et Pauline Carton. On aurait aimé la voir dans des scènes plus nombreuses car son « tempérament » gagne à être développé et connu. Bravo pour la courte intervention. Un spectacle incontournable pour les amateurs du Maître Guitry dont la pérennité patrimoniale n’est décidément plus à démontrer.
Natalia FINTZEL-ROMANOVA
Sacha Guitry, sous le charme Interprètes : Albert Willemetz, Anaïs-Jane Briand et Michèle Werner.
Rencontre avec Albert WILLEMETZ, metteur en scène et interprète de « Sacha Guitry : sous le charme » RegArts : Albert Willemetz, vous faites partie d’une des plus grandes familles qui composent le patrimoine culturel et historique français. Rappelons que vous êtes le petit-fils d’Albert Willemetz, créateur de l’opérette moderne, directeur des Bouffes-Parisiens, secrétaire de Georges Clémenceau, pour ne citer que quelques-uns de ses statuts. A. Willemetz : Cette « filiation nominative » peut paraître étrange, au premier abord, mais elle n’a pas été prévue dans un but perturbateur. Je ne ressens pas de pression ni d’obligation particulière dans le fait de devoir rendre des comptes parce que je porte un nom célèbre et respecté dans l’univers culturel français. Ma satisfaction personnelle se trouve davantage dans le plaisir que j’ai eu à fréquenter longtemps des personnalités exceptionnelles telles Yvonne Printemps, Marcel Achard, Pierre Fresnay, etc., proches du quotidien de mon grand-père. Dîner à la même table qu’Yvonne Printemps lorsqu’on a 8 ans demeure un souvenir impérissable… RegArts : Sacha Guitry était le meilleur ami de votre grand-père. Monter un florilège de son œuvre s’avérait donc une évidence ? A. Willemetz : Je prends des cours de théâtre chez Jean-Laurent Cochet depuis maintenant un an et demi. L’une des premières scènes que j’ai passée était un Guitry, auteur peu joué au cours. De fait, l’une de mes tantes, Betty Willemetz, m’a incité à mettre ce projet en route, de tenter ce challenge. J’ai pris contact avec Jacqueline Aubard, la veuve de maître Aubard, qui gère aujourd’hui l’œuvre de Sacha. Exceptionnellement, par amitié pour ma famille et pour la première
fois depuis
la mort de Sacha, elle a accepté que je « taille dans les textes », de manière à réunir quelques scènes ayant pour fil conducteur les étapes d’une relation amoureuse. RegArts : Parlez-nous du concept de votre spectacle… A. Willemetz : J’ai souhaité construite une histoire autour de courtes scènes en duo sur le thème de la Femme et l’Amour. Sacha Guitry était un maître en la matière. J’ai pioché, entre autres, dans « Tôa », « Quadrille », « Une folie », « Donne-moi tes yeux ». J’ai pris un grand plaisir à relire toute l’œuvre de Sacha car je crois que l’on y pose un regard nouveau à chaque lecture et que l’interprétation que l’on en a évolue avec le temps, l’âge et les événements. J’ai
conscience qu’il
est complexe de trouver le bon rythme, le bon dosage, tout en respectant son/sa partenaire. Un peu comme en amour, finalement… RegArts : A ce jour, vous êtes programmé pour une dizaine de dates seulement, au Théâtre de Nesle. Pourtant, Guitry est un auteur qui fonctionne bien, en général… ? A. Willemetz : Tout à fait. Cependant, étant un « jeune » comédien, je préfère tester les réactions du public, de la presse, et ne pas me lancer dès le départ dans une entreprise par trop risquée. Si le spectacle trouve son public et qu’il le séduit, alors nous prolongerons !
Natalia FINTZEL-ROMANOVA
|