GÉOGRAPHIE DE L'ENFER
Théâtre de Belleville
94 rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
01 48 06 72 34
Jusqu’au 21 janvier 2018
Du mercredi au samedi à 21h15 et les dimanches à 17h00
Ici, rien ne semble changer. Les êtres du moins. Ils sont trois à vivre, se cogner les uns aux autres, s’arranger pour durer. Dans une baraque perdue nulle part, au milieu d’une forêt de résineux. Deux hommes et une femme dont on ne sait pas trop les liens. Marginaux dont on ne sait pas trop les moyens d’existence. Qui semblent accrochés à la surface du globe grâce à cette baraque comme des torchons à un clou.
L’auteur Alex Lorette fait arriver dans ce trio une sorte d’autre monde. Un jeune cadre, costume de luxe et bagnole allemande qu’il vient d’encastrer dans le décor. Et lui-même vient s’encastrer dans ce trio, y déclencher l’envie, le désir ou la haine suivant chaque caractère. Tous en ressortiront accidentés.
C’est avec une belle créativité que s’avance l’histoire réplique après réplique. La qualité sourd de partout. Le texte très percutant, rythmé, juste (un texte sélectionné par les EAT pour lecture au Théâtre 13 en 2015). La direction d’acteur énergique, colorée, pertinente. Les comédiens ont créé là des personnages denses, perceptibles, très bien incarnés. Les lumières sont belles, le décor en quadri-frontal simule à la fois la matière brut dans laquelle les personnages évoluent (des terriens habitués à la rudesse de la nature) et d’autre part une sorte de ring carré qui symbolise la baraque et où tous les échanges, heurts et affrontements vont avoir lieu.
C’est l’histoire d’un abîme où le jeune cadre dynamique vient se perdre quasi volontairement. Et c’est aussi lui qui apporte l’abîme dans cette communauté à l’existence végétative mais charnelle. On ressent des influences sensuelles réalistes de l’Amérique du siècle dernier, de Tennessee Williams, aux films de Kazan, à Faulkner : une déliquescence de la morale et de la civilisation sous l’étouffoir de la nature.
C’est aussi l’enfer de Dante sans cesse cité en référence. Mais un enfer bloqué à un étage. Statufié. Où pourtant le charnel très sublimé par la mise en scène d’Adrien Popineau, les lumières tangentes, et le jeu des interprètes est source à la même mesure de plaisir et de souffrance, de sublime et de fini.
De cette volonté de raconter une histoire concrète avec des ramifications symboliques sans cesse réinjectés, on débouche alors sur une absence totale. Rien. Comme un constat désillusionné de la vanité de l’existence. Ne restent alors comme conclusion que le corps réduit à la matière et les rôles qui s’échangent dans un état qui stagne. Une fin de texte un peu vague qui ne trouve pas d’issue entre le côté concret, terrien des personnage et leur vraisemblance, et des incrustations de références littéraires et poétiques qui nuisent à cette vraisemblance. Restent une vision clairement sans horizon qui laisse un peu sur la faim et donne au spectacle, malgré toutes les qualité dites plus haut, un goût plus formel et esthétique que touchant.
Bruno Fougniès
Géographie de l'enfer
Texte Alex Lorette
Mise en scène et dramaturgie : Adrien Popineau
Scénographie : Fanny Laplane
Lumières : Hugo Hamman
Avec : Frédéric Baron, Florent Hu, Jade Fortineau, Maxime Le gac Olanié
Mis en ligne le 12 janvier 2018