FRACAS |
Au Théâtre de Belleville La salle est allumée. Les comédiens et comédiennes sont en scène, ils bougent, se détendent. Shabituent au public, peut-être. Ils marchent puis se figent à l'appel de leur prénom par Olivier Brunhes, le metteur en scène-coordinateur. Il y a des éclats de voix, des phrases lancées, comme une bouteille à la mer. Notamment : C'est un récit qu'on ne peut pas entendre Quel est-il donc, ce récit qu'on ne peut pas entendre ? Celui, fragile et rare de « laissés pour compte » de non-comédiens ou peu-comédiens qui a été ici recueilli, retravaillé et qui nous est balancé crûment, à charge pour nous d'en faire ce que nous pourrons. Il y a des jeunes et des moins jeunes, des femmes, en majorité. Leur histoire leur colle à la peau, et leurs mots, encore une fois, sont à la première personne. Une personne souffrante. Une personne rescapée des gnons de la vie, aux prises avec un destin bancal ou l'Institution. On entend : J'avais le cœur qui battait partout Ou encore : J'entends les étoiles pleurer dans mon cœur. Spectacle pour bobos ou thérapeuthes, serait-on tenté de dire. On aurait tort. Le projet est théâtral et non-théâtral en même temps. À mille lieues des « trucs « des comédiens professionnels, ceux-ci débarquent sans technique ou presque. Ce qui n'exclut ni la présence ni la force. Ils ont pour eux leur authenticité. Ils s'écoutent vraiment. Et quand l'un ou l'une d'entre eux hurle ou a la voix qui se brise, elle nous renvoie, nous simples spectateurs à une misère, un vécu qui ne peut souffrir le moindre doute. « On me répétait , vous n'êtes pas dans le rythme » souffle une jeune femme. Ailleurs un garçon confie : De toute façon, je ne fréquente plus que moi-même ! Ces dix personnages-comédiens ont pris des coups. Ils ont encore des rêves. Critiquent la télé. En viennent à douter de Dieu. « Ai-je le droit d'exister ? » se demande quelqu'un. L'autre, dit un jeune en rouge, c'est toujours le problème. La gêne est parfois palpable, masquée par des rires de spectateurs. On retiendra encore le « J'aime que la haine ! » de Alice Varenne. Ainsi que la voix déchirée de l'homme qui fut SDF : « Tu détournes ton regard pour ne pas me voir. » Nous détournons souvent nos regards d'eux les « pas-comme-nous ». L'occasion, ici, de les regarder en face.
Gérard NOEL
Fracas Un projet mené par Olivier Brunhes. Par « l'improbable troupe » de l'Art Eclair. Avec : Baptiste Amann, Sacha Bourdo, Thomas Caspar, Nathanaël Favory, Christelle Journet, Kemso, Nadia Sadji, Sandra Sainte Rose, Alice Varenne, Séverine Vincent, Vincent Winterhalter.
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