Studio-Théâtre de la Comédie Française
Carrousel du Louvre
Jusqu'au 28 avril, à 18h30 ou 20h30
Christian Benedetti est sans concession. C'est sa force et son exigence. Voir le monde sans filtre. En face. Voir les hommes tels qu'ils sont, tels qu'ils vivent, sans fard. Voilà ce qu'il cherche à partager avec cette pièce comme avec la plupart de ses autres mises en scène.
C'est quelqu'un qui est également avide d'honnêteté. L'artifice du théâtre ne lui est nécessaire que dans la mesure où il sert cette volonté de clairvoyance crue qu'il veut donner au public. Son travail a toujours eu comme socle une méfiance absolue envers le convenu, la logique psychologique, le pathos, l'entendu et toutes les formes d'alibis prémâchés qui forment notre jugement et notre analyse face à des situations inconnues que notre esprit s'ingénie à ranger très
vite dans des cases, des grilles d'interprétation, des boîtes.
Dans Existence, tout est fait pour dérouter ces schémas qui nous donnent l'impression de comprendre, de supposer et de prévoir. On est plongé dès les premières minutes dans un présent dont on ne pourra plus s'échapper.
Scène plongée dans le noir, des sons de pas qui s'approchent puis ne semblent plus s'approcher, une porte que l'on crochète puis une ombre qui se bat contre des objets, puis contre une autre ombre. Violemment. Un voleur et le résident de l'appartement. Autour, l'apathie et l'indifférence de la ville endormie. Ils sont comme seuls au monde. Deux inconnus que tout sépare. Seul un rai de lumière traverse l'obscurité. Ils cherchent à voir l'un de l'autre des éclats, des bouts.
Ils ne cessent de chercher à se voir mais ne distinguent l'un de l'autre que des fragments. Des bouts d'hommes. L'un, Tom est muet, assis ligoté face à l'intrus « x » volubile, violent. Assis comme nous spectateurs dans la salle, impuissants.
On est comme en apnée, fascinés par la même quête que les personnages. Comme Tom, on écarquille les yeux et les oreilles pour distinguer un signe d'humanité, une expression sur le visage obscur de x, quelque chose qui nous rassurerait, que l'on pourrait reconnaître comme une partie de nous-mêmes, quelque chose à partager, mais non. Des bribes, oui, des instants fixes, niés la seconde d'après. On ne reconnaît plus rien.
Edward Bond a soigneusement fait en sorte d'éviter toute indication, tout fil directeur. On est dans l'instant pur. Le hasard à chaque seconde.
Christian Benedetti a pris soin de demander à Benjamin Jungers une forme de diction interrompue qui ne laisse pas la chance d'imaginer une pensée, un raisonnement, une intention dans les silences. Ce ne sont pas des suspensions qui indiquent un état ou un sous-entendu. Mais juste un temps suspendu. Rien. Rien que l'attente du mot, du geste suivant. On est aux aguets.
Ces deux personnages, interprétés avec grandeur par Gilles David et Benjamin Jungers, sont comme un concentré d'humanité, une humanité qui se cherche dans le regard de l'autre mais ne s'y trouve pas. Et l'on se prend à penser bizarrement au pire de ce que les guerres du siècle dernier et de ce siècle ont révélé sur l'homme. Le pire dans l'abjection, l'humiliation, que ce soit du côté des victimes ou des bourreaux. Pourtant, la pièce évite cette facile répartition de rôle
: Victime/Bourreau car la communication entre les deux est impossible et même refusée. Mais un geste peut-être l'un pour l'autre ?
Et l'on se retrouve en sortant dans les couloirs pharaoniques déserts du Carrousel du Louvre, la tête pleine de boîtes de conserve qui brinquebalent et l'impression presque rassurante qu'une balle peut à tout instant siffler dans l'air et nous briser la nuque.
À voir absolument.
Bruno Fougniès
Existence
Auteur Edward Bond
Mise-en-scène et scénographie Christian Benedetti
Réalisation sonore Laurent Sellier
Lumière Dominique Fortin
Avec
Benjamin Jungers et Gilles David
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