END/IGNÉ

Théâtre de l'Aquarium
La Cartoucherie de Vincennes
Route du champ de manœuvre
75012 PARIS

Jusqu'au 28 septembre
à 20h30, dimanche à 15h, supplémentaire samedi à 16h30

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Mis en ligne le 27 septembre 2014

C'est la morgue d'un hôpital. Des tiroirs réfrigérés, un petit bureau, des lampes coniques pendant du plafond. Univers à moitié glacial, à moitié dégradé. C'est l'univers de Moussa, laveur des morts de la ville de Balbala. Il leur parle, prend soin de leur apparence, s'informe de leur histoire, vit en leur compagnie. Nous sommes dans une petite ville dans les terres d'Algérie.

Dans une première partie, Moussa apparaît comme un personnage cocasse, pétri d'humour noir, léger, drôle, doué d'une provocation proche de la jubilation. Un personnage que la dureté du monde économique et politique a fait renoncer à une vie confortable pour se contenter d'un poste subalterne, presque honteux : s'occuper de la morgue de l'hôpital. Lui qui était diplômé en forage pour rentrer dans l'industrie pétrolière voisine, usine où il n'a même pas pu postuler par manque de piston ou d'influence.

C'est un homme en renoncement mais pas tout à fait. Il n'est pas de ceux qui brisent leurs chaînes avec fracas et provocations, mais chacun de ses gestes du quotidien est une révolte contre les codes moraux, politiques ou religieux qui étranglent la vie dans les villes algériennes : dans sa morgue, à l'abri des regards et des jugements, avec pour seuls témoins ses cadavres, il écoute de la musique, danse, boit, soliloque et écrit l'histoire de chacun de ses morts en l'enregistrant dans un dictaphone qu'il porte perpétuellement autour du coup. Tous ces actes condamnés d'avance par  les bienpensants du pouvoir là, dehors.

Le monde qui l'entoure ? Un monde où il faut payer tout, à chaque instant, pour chaque chose : des bakchichs pour entrer quelque part, des courbettes pour obtenir un passe droit, des soumissions aux dogmes des religieux islamiques. La morgue est l'asile où il agit, pense et parle à sa guise. Comme si les morts avaient plus de tolérance que les vivants.

C'est un homme du peuple, mais éduqué, moderne, actuel. Qui sait réfléchir, voir et analyser. Tout sauf une dupe. Mais un homme qui n'ose pas affronter l'ordre établi. Un de ces humbles qui possède son propre sens de la justice, du bien et du mal, son code moral.

Il a choisi cette place de gardien des morts presque pour se cacher, ou pour cacher le monde à ses yeux, pour s'isoler, pour ne pas être tenté de réagir à l'injustice, la corruption, la dureté infligée au peuples, aux individus.  Comme s'il avait voulu épargner le monde et lui-même de la violence qu'il soupçonnait en lui. Un sage !

Mais rien n'y fait, l'agitation du monde déferle sur lui sous la forme de l'arrivée du cadavre d'Aziz. Aziz le révolté de la ville, le trublion, le blogueur qui dénonce les corruptions et les passe-droits d'un régime autoritaire, Aziz que la justice ne cesse de vouloir faire taire, Aziz son ami avec qui il voulait faire un livre sur tous ces morts, ces suicidés, qu'il faut sauver de l'oubli, Aziz qui s'est immolé par le feu dans la salle de tribunal pour crier son refus.

Dans cette deuxième partie, on pénètre dans un tout autre climat, dramatique, solennel, déchirant où les blessures s'ouvrent et où le cri s'approche des lèvres. C'est un devoir du souvenir, une ode au martyre et une profession de foi, pas la foi religieuse, la foi beaucoup plus triviale, la foi en l'homme, sa force de révolte, son acte de libération.

Il y a un effet de miroir entre Aziz et Moussa et aussi un héritage. Moussa portera la mémoire d' Aziz, peut-être lui aussi un jour se transformera-t-il en torche brûlante pour crier son refus. Quoi qu'il arrive, et voilà le message d'espérance, Aziz ne se sera pas immolé pour rien.

Mustapha Benfodil met dans la bouche de son personnage des phrases fortes dans une langue très belle, littéraire par moment, sans chercher la retape du langage de la rue. Il ne s'agit pas ici d'un propos sociologique ni par trop réaliste. Il cherche à montrer l'âme de son personnage plus que sa représentation stéréotypée. Et plus il le particularise ainsi plus Moussa devient universel : il est l'homme qui rentre son cri de révolte dans sa gorge qu'il soit d'Algérie ou d'ailleurs.

Un vrai bijou de texte pour un comédien. Azeddine Bénamara y déploie tout son talent. Dans le cocasse, le comique, comme dans le tragique. Une vraie performance.

La mise en scène et la direction d'acteur de Kheireddine Lardjam dans le décor très réaliste d'Estelle Gauthier (on inhale presque par instant l'odeur floral des cadavres mis au frais) est sobre, stricte, efficace, elle met en valeur l'humain, le sensible de ce personnage qui semble prendre conscience devant nous.

Après la création qui eut lieu au Caire au Printemps 2013, Kheireddine Lardjam retrouva une phrase du texte taguée sur un mur de la ville : « Je ne suis plus dans les temps folkloriques, je suis dans le temps politique, je vous laisse à vos antiquités »

À entendre.

Bruno Fougniès

 

End/igné

de Mustapha Benfodil
Mise en scène Kheireddine Lardjam
Scénographie Estelle Gautier
Création lumière Manu Cottin
Création son Pascal Brenot

avec Azeddine Bénamara

 

Tournée :  
le 9 octobre 2014 à 20h30 à Montpellier au Théâtre Jean Vilar
du12 au 14 novembre 2014 à 20h30 à Grenoble au Festival International de Théâtre Action
le 2 décembre 2014 à 20h30 au Scènes du Jura, Scène Nationale et Mi-Scène à Poligny (39)
du 8 décembre au 10 décembre 2014 à 20h00 à la Comédie de Saint-Étienne
le 29 janvier 2015 à 20h30 au C2 Centre Culturel de Torcy.