ELENA CEAUCESCU – Carnets secrets |
Théâtre de la Girandole Dans un petit théâtre de Montreuil, se donne une pièce étrange, consacrée à l’ex-dirigeante roumaine, épouse de Nicolae Ceaucescu. Les auteurs en sont Francis Spitzner et Patrice Rambaud. Ce dernier nom fait tilt : Rambaud, ex’ d’« Actuel », également prix Goncourt, est surtout un grand spécialiste du pastiche. Pastiche en tous genres, de Marguerite Duras au chien de François Mitterrand. Ici, le sérieux est de rigueur (encore que, …) et on nous présente Elena, devant sa coiffeuse, rêvant tout haut, s’attendrissant et s’enthousiasmant, le tout rythmé par des bravos enthousiastes. Cette femme dans la cinquantaine se prépare. Elle nous tourne le dos et nous apparaît principalement dans sa glace. On écoute. On est saisi par ce mélange de grandiloquence et de bêtise. Elle appelle son époux Nick, jongle avec les préceptes du marxisme-léninisme et évoque les hommes d’état étrangers, à commencer par Giscard et madame. Leurs propos, leurs goûts, autant d’anecdotes croustillantes. Marchais et sa femme Liliane y ont droit aussi, comme Maxime Gremetz et son épouse. D’après le directeur du théâtre, un tiers des propos est inventé, un tiers est vrai, un tiers est vraisemblable. Le hic, c’est qu’on ne sait pas toujours dans quelle catégorie ranger ce que l’on vient d’entendre. Par exemple, elle parle d’une église, rasée pour y faire construire un palais, puis d’une chasse à l’ours où, faute d’ours, il aurait fallu déguiser un Hongrois ! Elena croit au socialisme et au progrès : « Viennent les grues, je suis la première grue ! » C’est une midinette qui ne jure que par Frédéric François (le chanteur) et prend « la grosse hépatite » de son mari pour une maîtresse qu’il entretiendrait en cachette. Qui confond régime politique et régime basses calories. Qui carbure, visiblement au mélange Champagne Valium. Plus tard, elle s’interroge : Qui suis-je ? L’occasion de rappeler qu’elle fut fille de ferme et passa « des sabots aux escarpins ». Un brin mégalo, elle envisage qu’on fasse, pourquoi pas ? un film sur sa vie qui s’appellerait « Elena ou la socialisme » ou tout simplement « Elena ». « L’insondable folie d’une dictatrice au pouvoir », nous dit l’affiche. Insondable, oui, la réalité est allée bien souvent au-delà des mots des deux auteurs. Chez cette femme il y a du Ubu, un mélange de cruauté, d’habillage marxiste et surtout de stupidité crasse. Qu’elle ait, comme l’annonçait l’ouvrage de Spitzner et Rambaud, laissé 564 carnets remplis de sa main et dont ils auraient tiré la matière de ce spectacle, est difficile à imaginer. Il paraît qu’elle était plutôt inculte. Bref, c’est le fond qui nous est restitué ici, à défaut de la réalité des mots. Et le tout est fort efficacement fait. On pourrait déplorer une mise en scène un peu statique au début, mais dont on comprend peu à peu la raison. Un grand bravo à l’interprète, Félicie Fabre, actrice plutôt drôle habituellement (c’est elle qui le dit) qui laisse effleurer en se maquillant le fond même du personnage. Et qui panache ici, de belle façon, le rire et le tragique.
Gérard NOEL
Elena Ceaucescu -Carnets secrets De Francis Spitzner et Patrice Rambaud
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